Régionales, Fn, banlieue : la République bout de souffle ?

Bureau de vote à Saint-Denis pendant les régionales
Le 17-12-2015
Par Farid Mebarki

Le dénouement fut heureux. Marine, Marion, Florian et les autres se sont écrasés contre ce « bouclier de verre » théorisé par quelques éditorialistes. Après les terribles attentats de novembre, le sursaut (sursis ?) du deuxième tour des régionales est-il encore à même de renouer les fils déliés du tissu social et de calmer les volontés de sécession qui aujourd’hui balafrent la carte électorale ?

 

Le choc n’aura pas jeté dans les rues des milliers de Français reprenant à l’unisson les chants et les slogans appelant à la fraternité et au rejet du parti d’extrême droite. Nous ne sommes plus en 2002 ; la résignation s’est installée et secrètement beaucoup s’attendent au pire. Face à ce qui semble être l’implacable poussée du FN, les discours humanistes, l’exercice de la raison critique ou même l’indignation légitime que sécrète les saillies de la famille Le Pen, sont dépassés. Ayant épuisé ses anticorps, le monde politique recycle ses vieilles recettes, amende ses éléments de langage et ose minorer la déroute.

 

Partis politiques boudés

Personne n’oubliera Stéphane Le Foll, porte parole du gouvernement, affirmant au soir du premier tour que « la gauche est le premier parti de France ». De quel gauche parle-t-il ? Celle des écolos divisés, du PCF cadavérique depuis les dernières municipales ou d’un Mélenchon piétiné à Hénin-Beaumont ? A l’étage supérieur, le Premier Ministre fort de ses constats édifiants sur « l’apartheid social » qui sévit en France ou sur le « risque de guerre civile » que pose le FN, aura même l’audace de proposer un ixième plan contre le chômage. A croire que cette priorité avait été perdue par un exécutif tout entier préoccupé à déradicaliser les banlieues, élargir la peine de déchéance de nationalité et à renouer avec Vlad et Bachar pour bombarder Daesh. Quant à la droite, l’image d’un Estrosi se plaignant de la dérive droitière de certains membres de son parti, en dit long sur la confusion et la survie coûte que coûte qui y règne. Montée du FN ? Davantage une déliquescence avancée des partis politiques dans un système démocratique essoufflé et boudé par près de la moitié du corps électoral.

 

Banlieues devenues invisibles par la gauche

Même si aucune région n’a été gagnée par la vague bleue Marine, le choc demeure et ne saurait se réduire aux cartes colorées qui soulignent les fractures et les écarts d’un pays fâché avec lui-même. Dans certaines villes où le FN a fait des scores à couper le souffle, comme à Marseille, Saint-Fons, Corbeil-Essonnes ou Montauban, on devine l’atmosphère « Mississipi Burning » des lendemains de vote. La méfiance s’y est durablement installée, pas tant par la peur de l’autre, de sa religion ou de ses coutumes (hormis le cas spécifique du sud), mais bien par les effets du désastre économique et des inégalités territoriales. Devenus invisibles avec la gauche au pouvoir, les quartiers populaires semblent n’attendre aucune perspective (66% d’abstention en Seine-Saint-Denis), alors qu’en 2012 leur contribution avait été indispensable à la victoire de François Hollande.

 

Dans les appareils politiques, et singulièrement au PS, les niveaux record d’abstention dissuadent tout investissement et toute démarche, considérant que la banlieue n’est ni un investissement électoral, ni même un nouveau lieu de combat pour le progrès des droits. Juste un champ périlleux et anxiogène qui ne peut que faire monter l’extrême : vieille rengaine éculée, appliquée avec rigueur… et qui n’a pas stoppé l’ascension du FN. Désinvestis par les partis, les habitants des banlieues au mieux s’abstiennent ou se hasardent à voter FN comme on effectuerait un bras d’honneur. C’est bien à bout de souffle que se termine l’année 2015.

 

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