Regard sur le 9-3 avec Jean-Pierre Thorn

Le 12-05-2011
Par xadmin

Un regard décalé sur la Seine-Saint-Denis via la musique, son ancrage territorial, ses engagements. Rencontre avec Jean-Pierre Thorn, réalisateur de « 93, la belle rebelle ».

Pourquoi avoir fait un film sur la Seine-Saint-Denis ?
J.P Thorn : Tout simplement parce que la Seine-Saint-Denis fait partie de ma vie. C’est un territoire que j’ai connu avant en tant qu’ouvrier syndicaliste, puis après, au travers de la culture hip-hop. C’est un attachement presque familial.

La Seine-Saint-Denis vous parait-elle représentative ?
J.P Thorn : Oui. Dans une interview que je n’ai pas gardée dans le film, par peur que se soit mal interprété, Marc Pérrone (célèbre accordéoniste, ndlr) dit « la Seine-Saint-Denis est la capitale des banlieues ». Elle a effectivement toutes les caractéristiques des banlieues de France, en plus condensé : cette énorme mutation industrielle, les taux de chômages, l’exclusion des enfants de l’immigration, la ghettoïsation de plus en plus grande et en même temps l’énorme richesse des gens, leur volonté de résister au sort qui leur ai fait. C’est en parlant du particulier qu’on parle de l’universel : en décrivant l’histoire de la musique en Seine-Saint-Denis, j’ai l’impression de parler de l’histoire de toutes les banlieues de France et au-delà.

Quel est le message que vous avez voulu faire passer ?
J.P Thorn : Je n’ai pas de message et je ne veux pas en avoir. Le cinéma est un regard sur le monde et j’interroge le réel, mais c’est aux gens d’en tirer le message. Je donne des éléments, des bribes de compréhension et de poésie mais ce n’est pas un message que j’illustre. Dans la plupart des films télévisuels, le message est préétabli et le réalisateur illustre sa philosophie : je suis contre cette façon de faire. C’est de la propagande et ça me gonfle.

Vouliez-vous tout de même « dé-stigmatiser » la banlieue ?
J.P Thorn : Oui, le but de mon film est d’essayer de casser les tribus. J’ai remonté l’histoire musicale après la guerre d’Algérie en montrant comment tous les différents mouvements musicaux se sont combattus alors qu’en définitive, par delà leur différence, ils expriment peut-être la même soif de faire partie de la société français, d’arrêter avec le discours stigmatisant du pouvoir sur la jeunesse des quartiers populaires. Il y a une vraie continuité chez les élites à ne pas considérer la jeunesse comme un atout et à l’attaquer systématiquement en la rendant coupable de tous les mots de la société française, alors qu’elle n’en est que le produit. Mon but est aussi de redonner de la fierté à cette jeunesse, de montrer qui il y a une histoire complexe, riche, diverse et une intelligence de ces artistes qui n’ont jamais plié face à une situation qui s’empirait. Tous ces artistes nous donnent une belle leçon de résistance.

Quel regard vous portez sur la Seine-Saint-Denis aujourd’hui ?

J.P Thorn : C’est un territoire très vivant, qui affronte des difficultés grandissantes parce que le pouvoir ne cesse de vouloir souffler sur les braises. En nommant le préfet Lambert, ils espèrent bien que d’ici 2012, il y aura de nouvelles émeutes. Mais j’ai confiance dans l’intelligence de toutes ces associations de terrain qui essayent de retisser du lien social, de l’espoir par rapport à la jeunesse de tous les quartiers. Je suis un optimiste. Il y a une énergie de ce département et de ces classes populaires à tous les niveaux et qui s’exprime dans la musique.

Un autre documentaire se penche sur la mémoire de ce département : « 9-3, mémoire d’un territoire » de Yamina Benguigui. Qu’en pensez-vous ?
J.P Thorn : Ça m’a choqué qu’on nie à ce point l’histoire ouvrière. Il y a des archives très intéressantes, mais au niveau des interviews des personnages, il n’y a aucun syndicaliste, ni figure marquante de la banlieue rouge. La force des luttes ouvrières, la solidarité qu’on a essayé de mettre sur pied entre usines étaient très importantes et ne pas voir comment cela a façonné la conscience des gens, me gène beaucoup. Il y a, dans ce film, une forme de misérabilisme qui me choque et qui véhicule l’image des bourgeois qui font la charité aux pauvres alors que la pauvreté forge aussi des caractères, des leaders d’opinion, des associations, des musiciens, des résistants qui viennent du terrain, qui sont forts, beaux et qui méritent d’être racontés. C’est un film caricatural qui nous fait croire qu’il ne s’est rien passé avant Claude Bartolone (Député PS de Seine-Saint-Denis et Président du Conseil Général, ndlr). C’est une réécriture de l’histoire.

Propos recueillis par Nadia Sweeny
 

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