
Qui est le nouveau ministre des banlieues ?

Alors que les présidentielles recommencent (hélas !) à donner le tempo de l’action politique, n’y a-t-il pas le début d’une tentative d’occupation de la question des banlieues, laissée en jachère par les partis, mais qui avaient souvent voté à plus de 70% pour le candidat de gauche en 2012 ? Dans ce petit jeu, qui donne le tempo ? Macron, Geoffroy, Valls ? Hollande ?
Alors que le Ps et le candidat Hollande avaient finalement décidé de ne pas organiser le « Grenelle des quartiers » un temps évoqué avant les présidentielles de 2012, faut-il s’étonner que la question des banlieues soit encore encalminée dans l’action publique en 2016 ? A fortiori alors que sur le sujet, les djihadistes parasitent dorénavant encore plus l’action politique que le Fn, accusé depuis les années 80 de provoquer l’immobilisme et le manque de courage de la classe politique française à l’endroit des banlieues et des minorités. Ceux qui croient encore en l’utilité d’une action publique volontariste dans ce domaine sont de plus en plus rares. Au profit de ceux qui ont avalé depuis leur plus jeune âge la soupe libérale-méritocratique.
Un syndicat des banlieues atone
Car la petite musique libérale se fait bien entendre depuis quelques mois, et elle rencontre à n’en pas douter un écho certain dans des quartiers qui semblent eux-mêmes de plus en plus rétifs à envisager leur avenir (leur sortie du ghetto) par les voies de l’action publique. Un premier signe de ce tournant : alors que le premier ministre de la Ville de Hollande, François Lamy, avait décidé de relancer la rénovation urbaine initiée Jean-Louis Borloo (et d’en réduire le périmètre au passage), il avait néanmoins souhaité lui adjoindre une prothèse citoyenne -logique pour une personnalité « aubriyste » issue d’un Psu lui-même héritier de l’autogestion. Cette prothèse s’incarnait en Mohamed Mechmache, figure positive post-émeutes de 2005, co-auteur avec Marie-Hélène Bacqué d’un rapport novateur sur la participation des citoyens à la politique de la ville, puis initiateur du plus grand réseau d’associations de banlieues jamais créé, la coordination « Pas sans nous ». Un coordination qui aurait pu enfin constituer l’indispensable « syndicat des banlieues », interlocuteur cruellement manquant de ces trente ans d’histoire des quartiers, marquées notamment depuis la déconfiture de Sos racisme, par un monologue institutionnel sans relais de terrain pour lui répondre…
5 ministres de la ville en 4 ans
Mais cet épisode semble bel et bien refermé : Mohamed Mechmache, élu régional esseulé, est rentré dans le rang, et la coordination, au sérieux et au volontarisme certains, est ensablée dans les méandres de la politique de la ville, faute de prise sur les forces en présence et les tendances lourdes dans les quartiers. Les décideurs politiques l’ont compris : il n’y a hélas pas grand-chose à « gagner » à miser sur la participation citoyenne. Alors que les moyens de la politique eux-mêmes viennent déjà à manquer, comment croire en la force de levier d’une mobilisation citoyenne évanescente ? Qui plus est, depuis Lamy, une procession de pas moins de quatre ministres s’est succédée, ce qui n’a pas permis à ce processus citoyen d’enclencher un changement de braquet : Vallaud-Belkacem, El-Khomri, Kanner, Hélène Geoffroy… tout un symbole.
Ministre de la ville par intérim et pour la com’
La dernière arrivée en date, aussi compétente fût-elle, est une obscure inconnue (sauf des électeurs de sa ville ou de la région lyonnaise), et n’a aucun des réseaux, au sein de la machine Ps (et encore moins ailleurs), susceptibles de lui faire remporter des arbitrages face à des ministères de poids (travail, économie, justice, éducation, intérieur et autres…). Elle semble avoir été cooptée en raison de basses considérations de communication, pour faire l’intérim d’un ministère dans lequel il ne se passera rien d’ici 2017 : ministre d’origine antillaise, femme, élue d’une ville symbole (voire modèle) -du moins pour ceux qui ont la mémoire de l’histoire des quartiers : Vaulx-en-Velin, ses émeutes de 79 et de 90, sa rénovation urbaine…
De Lamy-Mechmache à Hammouche- Macron
C’est donc bien ailleurs que se joue la bagarre, à fleurets mouchetés tant l’enjeu est épineux et tant il y a de coups à prendre : autour de la question économique. Comme le relevaient France Culture et Presse & Cité dans une émission du mois de novembre 2015, l’esprit d’entreprise semble bien avoir tué la révolte des quartiers… si ce n’est la politique de la ville dans son ensemble. Dorénavant, le dialogue ne se fait plus entre un ministre et des associations citoyennes, mais entre Bercy, le Medef et les entrepreneurs des quartiers : le duo Lamy-Mechmache a fait place à des duos Macron-Hammouche voire Gattaz-Camara (cf les conférences de presse et opérations communes de mentoring depuis 2 ans de ce dernier duo)… Quant au Président lui-même, sa dernière sortie remarquée sur ces territoires relégués à la périphérie de sa politique s’est faite à La Courneuve, le 20 octobre, pour évoquer la fameuse Agence pour le développement des territoires, nouveau « Machin » pour occuper l’espace thématique des quartiers, mais aux périmètres et moyens toujours aussi flous… depuis 2010 ! Sans que cette action ait pour autant le moindre impact : le Président n’a plus prise sur ces quartiers, sa parole y est « démonétisée » tant il a déçu.
Ambiance sarkozienne
Qui plus est, il semble depuis les attentats du 13 novembre, Valls a pris la main : la question des banlieues est surtout sous-traitée au Premier ministre, pour une politique qui promet d’être très sarkozienne, les messages insultants en moins, ce qui n’est pas rien, mais avec des symboles pourtant comparables, très mal vécus dans ces quartiers, à tort ou à raison -on pense bien entendu au débat devenu délétère sur la déchéance de la nationalité, d’autant plus fâcheux que le renoncement à accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales avait déjà laissé des traces. Alors que Manuel Valls se targuait de sentir le pouls de la banlieue de par son actif à la mairie d’Evry, son virage sécuritaire n’est pas bien perçu dans ces quartiers, c’est un euphémisme…
Guizot est de retour
On assiste dès lors à une rivalité modérée entre deux personnalités (l’enjeu est jugé secondaire, tant l’abstentionnisme y est développé, et tant personne ne semble en mesure d’emporter le morceau dans l’offre politique actuelle : pas de concurrent, pas de sujet) : Manuel Valls et Emmanuel Macron, tous deux dans le registre de la plus belle culture libérale-conservatrice, à tel point qu’on semble revenu plus de 150 ans en arrière, à l’époque de Guizot (ou de Thiers) : c’est la liberté d’entreprendre (« enrichissez-vous ! », disait le premier) plus la police (la « sécurité »). Comme le clamait Olivier Besançennot le 12 février lors d’une rencontre à Saint-Denis aux côtés du couple de sociologues des riches et de l’évasion fiscale Pinçon-Charlot, « Ce n’est plus un gouvernement, c’est une machine à remonter le temps ! »…
A l’américaine
Ainsi, après avoir organisé, fin janvier, une soirée de levée de fonds « à l’américaine » pour la nouvelle Fondation Mozaïk RH, le ministre de l’économie Emmanuel Macron a-t-il rencontré des centaines jeunes, en recherche d’emploi ou porteurs de projets, à Bercy le 5 février. Sous prétexte que « un jeune n'a pas envie qu'on l'assiste (…) ce que je souhaite, c'est donner à ces jeunes le droit de réussir ». C’est pourquoi le ministre assure (dans le Parisien du 5 février 2016) vouloir « aider ces jeunes à créer plus facilement leur business ». Un discours qui n’est pas neuf sur ces territoires puisque depuis Bernard Tapie, la réussite et la fameuse « envie de devenir milliardaire » de Macron, n’ont jamais été aussi présentes. De même qu’elles n’ont jamais été aussi éloignées des réalités (alors que le taux de pauvreté a bondi dans ces territoires depuis 10 ans -il dépasse maintenant les 36% !). Certes, on trouvera toujours des têtes de gondoles prêtes à jouer le jeu de la machine à rêver libérale, Aziz Senni a ainsi fait son temps aux côtés de Claude Bébéar, c’est dorénavant à Saïd Hammouche de s’y coller, avec un succès et des résultats certains, sur le terrain, en matière de création d’emploi et de d’ascension sociale.
Déréglementation généralisée
Résultats certains, mais qu’il ne faut sans doute pas surestimer, tant le contexte est morose : celui d’une déréglementation progressive et d’un grignotage minutieux des moyens et fondements de l’Etat-Providence, qui seul pourtant empêche les quartiers de sombrer collectivement, comme dans bien d’autres pays : on baisse les charges de toutes les professions qui le demandent (plutôt que de mener une politique alternative ; dernières en date : les agriculteurs) –mais comment va-t-on financer la solidarité si on continue sur ce chemin ? On punit les syndicalistes (salariés grévistes de Goodyear menacés d’emprisonnement, écologistes assignés à résidence…). On développe les transports en car et on ne fait toujours rien pour le fret (contrairement à tous les engagements pris à la Cop21). On organise le détricotage des 35 heures (alors que le chômage se généralise et que ceux qui ont du travail sont de plus en plus frappés par l’épuisement –le burn out). L’uberisation généralisée de l’économie mais aussi de la société (travail le dimanche) est bien en marche, sur le modèle anglo-saxon (contrats de travail « zéro heure ») ou germanique (« mini-jobs »).
Quel que soit le nouveau ministre des banlieues, et même si l’emprise sur les quartiers d’un Macron transgressif reste encore à confirmer, ce nouveau ministre est définitivement un libéral. Mais les banlieues elles-mêmes ne sont-elles pas de plus en plus de droite… à l’instar de l’ensemble du territoire, sur le mode du « chacun pour soi et Dieu pour tous » ?