
Quand les riches défendent leur pré carré

Dans l’ouvrage Les ghettos du gotha, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon décryptent l’action de la grande bourgeoisie qui use de sa puissance économique et de ses relations, pour défendre son pré carré. Et si cette agrégation des semblables qui « génère la spéculation immobilière » n’était pas l’une des causes de la misère sociale et économique dans les quartiers populaires ?
Les études, articles, ouvrages et sujets audiovisuels sur les cités font florès. Qui n’a pas déjà lu, écouté ou regardé un reportage, une enquête, sur ces « ghettos de la République » où se sont constitués « des territoires à part, avec leurs propres lois, leurs langages, leurs hiérarchies, leurs frontières », pour reprendre les termes du journaliste Luc Bronner ?
Les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, eux ont axé leur travail sur une autre forme de ghetto : celui représenté par les riches. Spécialistes des élites sociales, ces anciens directeurs de recherche au CNRS ont écrit plusieurs ouvrages sur le sujet depuis une vingtaine d’années.
Dans Les ghettos du gotha, sorti en 2007 et réédité cette année en format de poche1 , le couple décrypte l’action de cette grande bourgeoisie qui use de sa puissance économique et de ses relations, souvent liées à l’héritage, pour défendre son pré carré et entretenir sa domination sur la société. Cela donne une analyse au vitriol, agrémentée d’exemples concrets.
Les deux sociologues ont étudié les associations, les cercles et comités formés par les riches. Qu’ont-ils découvert ? Que paradoxalement, ces derniers avancent « sous le masque de l’individualisme et du mérite personnel » mais militent en fait en groupe et « en pratiquant dans la discrétion le collectivisme ».
Tous les moyens sont bons pour protéger un univers spatial et social où seuls les bien-nés et les nouvelles fortunes ont droit d’accès. Ceci vaut pour les cercles privés du Bois de Boulogne où il faut montrer patte blanche et s’acquitter d’une cotisation annuelle exorbitante. Ou encore pour les communes huppées de l’Ouest parisien, Neuilly-sur-Seine en tête, où sous la pression du lobby, les édiles préfèrent payer des amendes plutôt que de construire des HLM. Et ce, en s’affranchissant de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) et son objectif de 20% de logements sociaux.
« Avec les « beaux quartiers », on n’est pas comme avec les quartiers sensibles dans une catégorie de l’action publique mais dans le pragmatisme des habitants qui ont créé et gèrent eux-mêmes leurs lieux de vie », expliquent Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. Et tant pis pour la mixité sociale ! «S’il y a ghetto, c’est sur un mode volontaire et maîtrisé», écrivent-ils encore.
Parmi les élus contribuant au système, Nicolas Sarkozy – à qui les auteurs ont consacré un ouvrage2 – n’échappe pas à la critique. Lui qui, lorsqu’il était maire de Neuilly « se garda bien d’introduire le ver dans le fruit, contribuant ainsi à maintenir à son plus haut niveau la ségrégation sociale et spatiale, a été élu président de la République ».
Pour le couple, pas de doute. Cette agrégation des semblables qui « génère la spéculation immobilière » et « rend les centres urbains inabordables » est l’une des causes, trop rarement abordée par les chercheurs, de la désespérance et de l’injustice sociale dans les quartiers populaires. « Les jeunes des cités qui mettent le feu à la voiture de leurs voisins ne sont-ils pas victimes d’une violence, plus discrète, plus feutrée mais quotidienne et qui leur enlève tout espoir ? »
Ludovic Luppino/ RU