Pouria Amirshahi : « Il faut faire confiance au débat public, à la raison, à Sivens comme dans les quartiers. »

Pouria Amirshahi
Le 18-12-2014
Par Erwan Ruty

Alors que le pouvoir politique paraît impuissant à juguler la crise dans ces quartiers, le tête-à-tête entre politiques et associatifs a-t-il encore un avenir ? C’est ce que veut croire "Pas sans nous", syndicat des quartiers regroupant plusieurs dizaines d’associations, constitué en septembre suite au rapport Mechmache-Bacqué sur la participation. Le député PS Pouria Amirshahi y croit lui aussi.

 

P&C : Pensez-vous que la proposition de création d'un « fonds d’interpellation citoyenne » (1% du financement public des partis politiques et 10% de la réserve parlementaire de chaque député pour financer les "conseils citoyens" et "tables de quartiers"), proposé par la coordination « Pas sans nous » ait la chance de voir le jour ?
P.A. : En tous cas, je suis pour, c’est un principe intelligent. Les porteurs de projet sont confrontés à la bienveillance des leurs interlocuteurs, mais souvent ceux-ci n’ont pas d’argent. Le principe même de la réserve parlementatires est discutable, on peut l’améliorer, au moins par plus de transparence, ou par des critères d’utilité publique... Je vais envoyer un courrier à tous les parlementaires pour qu’en 2016 ils octroient une partie de leur réserve à ces projets. Il faudrait sanctuariser une part fixe mécaniquement dévolue aux projets citoyens. Je crois que les écologistes sont assez unanimes à ce sujet, j’espère que le groupe socialiste aussi le sera, les communistes pourraient l’être, et pourquoi pas quelques autres…On a un problème, on sait ce qu’il faudrait faire pour le régler, c’est une insulte à l’intelligence de ne pas le faire !



P&C : Pourtant, les habitants des quartiers sont sceptiques quant à la capacité des pouvoirs publics à les aider…
P.A. :
Ce désarroi est légitime, il est lié à l’impuissance à faire reculer les inégalités dans les quartiers et les endroits frappés par l’affaiblissement de l’Etat, par les discriminations, par les dégradations de l’environnement ou les contrôles au faciès… Désarroi renforcé par le manquement à la parole donnée. Mais quand même, les français aiment la politique, même s’ils sont fâchés contre elle. Les initiatives initiées autour d’Ac Le feu sont salvatrices, ça permet d’inscrire cette colère dans le débat public, de donner des perspectives, des espoirs. Des gens comme Mohamed Mechmache, Sihem Asbague [de Stop le contrôle au faciès, Ndlr] ou Bocar Niane [de Cité en mouvement, Ndlr] sont les figures d’une nouvelle génération représentative des nouvelles luttes sociales nées après 2005. Il faut leur laisser le temps de se structurer. Ils mènent des luttes non communautaires qui réclament le droit commun. Leur démarche est bien plus républicaine que celle de beaucoup d’hommes politiques qui communautarisent le débat, parlent d’origines, d’immigration, de religion supposée, d’identité culturelle... Je me sens représenté par eux, et j’espère les représenter un peu… Nous réclamons l’intégralité des droits et devoirs dévolus à tous les Français.



P&C : Mais les citoyens, maintenant, s’organisent de plus en plus indépendamment de l’action des politiques, non ? Comment les politiques peuvent-ils les aider ?
P.A. :
C’est pour les aider qu’il faut leur donner de l’argent public, arrêter de faire des cadeaux aux grandes entreprises et redistribuer aux petites qui, elles, créent de l’emploi. Les citoyens créent leur propre boulot quand les pouvoirs publics ne donnent pas suite à leur ambition. Avec une nouvelle culture de l’entreprenariat.



P&C : Sur quelles bases reconstruire une relation de confiance entre citoyens, associations et pouvoirs publics ?
P.A. :
Les quartiers, c’est comme à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes… On a vu que les grands projets respectaient les procédures légales dites de concertation. Mais ces projets sont nés dans le cerveau d’experts, de techniciens. Cela créé un sentiment de violence chez les citoyens, alors que c’est leur vie qu’ils découvrent changée un matin ! Dans les quartiers, c’est pareil : quand vous faîtes des projets de rénovation qui ne sont pas passés par le vote, par une consultation sérieuse, vous avez un problème de légitimité. Il faut faire confiance au débat public, à la raison. La coordination répond à ça. Elle pose la question de la culture de l’agora, du rapport à la citoyenneté, de la fin de la verticalité où tout se décide entre ingénieurs, architectes, technocrates, élus locaux… ça devra changer sinon il y aura de plus en plus de crispations.

 


 

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