Ouvrier à 20 ans, « c’est mieux que rien »

Le 07-03-2013
Par Mérième Alaoui

Amiens, capitale de la Picardie, est très touchée par le chômage des jeunes (environ 50%), malgré une zone industrielle et une pépinière d'entreprises. Ceux qui arrivent à décrocher un poste à l'usine sont même considérés comme privilégiés. 

 
Amiens, ville semie-rurale, semie-urbaine de 130 000 habitants a fait la une de l'actualité cet été, suite aux émeutes au quartier nord. Quartier emblématique de la ville, qui compte à lui seul 25 000 habitants. Une zone qui alimente les fantasmes et les préjugés, et que l’image de ces émeutes, passée en boucle sur les chaînes d'info continu, n'ont pas aidée à atténuer. 
 

Ouvrier grâce à son père

Fouad, 21 ans, a abandonné son BEP comptabilité avant même de passer l'examen. Depuis il enchaîne missions d'intérim et CDD à l'usine. "Cela peut paraître galère, mais il faut savoir que je suis très chanceux par rapports aux autres jeunes du quartier… C'est grâce à mon père qui a travaillé dans plusieurs usines de la zone industrielle. Il me pistonne, sinon j'aurais pu rêver !" raconte ce grand gaillard, cigarette à la main. Il estime qu’à cause de la réputation du quartier, les jeunes du nord ont du mal à décrocher un travail sur la ville. Le taux de chômage des jeunes du quartier est estimé a 50%. 
 

Obligé de travailler

Pourtant, la ville dispose d'une zone industrielle et une zone franche est nichée au milieu des immeubles. Elle compte aussi de nombreux centres d'appels comme Intracall center, Coriolis France, ou encore Médiamétrie, implantés grâce aux aides des institutions publiques (Ville, Région et Etat). Tout comme Fouad, Giovanni estime aussi avoir de la « chance ». Originaire du quartier Saint-Maurice, à proximité d'Amiens-nord mais considéré déjà comme un quartier rural, il a pu signer un CDI au bout de quelque mois. Après avoir raté son bac scientifique plusieurs fois, il est contraint de travailler. "Mais surtout je suis devenu papa récemment, je suis obligé d'avoir un salaire pour faire grandir ma fille… J'ai obtenu ce poste au départ grâce au piston, il faut le dire ! Sans cela, c’est très difficile à Amiens". Visage rond, fine barbe taillée et coupe à la mode, il est chargé de ramasser les déchets industriels pour une entreprise sous-traitante de Good Year et Dunlop. "On porte un bleu, et un masque car parfois les odeurs chimiques sont très fortes…" poursuit le jeune homme. Il fait partie de l'équipe du matin qui commence le travail à 6 heures, jusque 13h30. "Au départ c'était très dur, mais on s'y fait. Je n'ai pas le choix de toute façon". Si Giovanni peut se sentir rassuré d'avoir un emploi stable, son embauche intervient peu avant l'annonce de la fermeture de Good Year le 31 janvier dernier. "Les anciens employés vont se battre c'est sûr. Pour les derniers arrivés comme moi, ça peut être tendu. On verra bien…" Et d’ajouter : "De toute façon je ne me vois pas toute ma vie à l'usine". 
 

« Nos pères ont tout accepté »

Contrairement à la région Île-de-France, relativement dynamique, les jeunes chômeurs de province ont moins d’opportunités. La chaîne et le travail pénible à l'usine semblent être ce qu’il y a de plus accessible. Mais rare sont ceux qui envisagent d’y  passer toute leur carrière, comme la génération précédente. "Mon père a travaillé toute sa vie à l'usine, depuis très jeune je le vois partir à l'aube avec son casse-croûte et ses chaussures de sécurité… Moi je ne veux pas de cette vie-là" lance Fouad. Et d'ajouter : "J'ai beaucoup de respect pour les gens comme mon père, mais ils n'ont pas pris assez de risques, ils ont tout accepté. Mon objectif est de lancer ma propre affaire !". Le jeune homme économise afin d'investir avec des amis dans l'ouverture d'un garage ou d'un kebab. "L'idéal serait une sandwicherie car il n'y en a jamais assez. Et c’est le seul endroit pour les jeunes pour se retrouver" ajoute-t-il. Giovanni, lui, n'est pas un fils d'ouvrier "mais je n'ai jamais eu d'a priori sur la profession. Au contraire j'ai toujours imaginé les ouvriers comme de grands bosseurs, des courageux. Et c’est vrai ! D'ailleurs je ne sais pas si je tiendrai plusieurs années comme ça…". Le jeune papa pense déjà à se former pour trouver un nouvel emploi. Pour lui, l’idéal serait d’obtenir un poste à la mairie. Contractuel ou fonctionnaire, la municipalité reste l’eldorado dans la plupart des jeunes des quartiers populaires. 
 
Si de nombreux emplois d'avenir sont à pourvoir dans la ville, la demande est telle, que les élus sont personnellement sollicités. Lucien Fontaine, élu (PS) à la Jeunesse et à l'éducation populaire, est régulièrement assailli de demandes. "Parfois je suis obligé d’être ferme et dire simplement « non » sans tourner autour du pot… Cette ville a longtemps été tenue grâce au clientélisme, et je ne veux pas de cela" lance l'élu d'origine comorienne. "J'ai parfois l'impression que ce sont mes origines qui créent de la proximité avec certains jeunes des quartiers qui me confondent avec un agent de Pôle emploi…" plaisante-il. La mairie, une façon comme une autre d'échapper au travail considéré comme ingrat de l'usine. 
 
 
 
 

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