
Naïma Charaï : dissoudre or not dissoudre l’Acsé ?

La nouvelle présidente de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, nommée par François Hollande, a un profil atypique pour une responsable d’agence d’état. Va-t-elle résister à la fusion prévue de l’Acsé dans un machin administratif informe, ou au contraire devoir l’accompagner ? C’est ce que 5 médias du réseau Presse & Cité, lui ont demandé. Entre autres choses.
En l’absence d’un des piliers de Presse & Cité, Med In Marseille (en raison de soucis de financement), notre collectif, avec Kaïna TV (Montpellier), radio HDR (Rouen), Reagrds2banlieue (Saint-Denis) et Afriscope, a rencontré la nouvelle présidente de l’Acsé. Quelle politique pour cette agence en voie d’être convertie en administration, ce qui la ferait factuellement disparaître, tout comme la Halde a disparu dans le poste du Défenseur des droits ? L’Acsé, dont bien des agents ont l’impression d’être devenus de simples banquiers, retrouvera-t-elle un jour son Adn : du terrain, de la participation et des idées pour les politiques publiques ? Mystère, mystère… partiellement dévoilé par une Naïma Charaï qui sait ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Collectif Presse & Cité avec Naïma Charaï
Kathalyn Belair (Regards2Banlieue, Saint-Denis) : Avec le rapprochement avec le SGCIV (Secrétariat général du comité interministériel à la ville) voulu par le ministère de la Ville, l’Acsé existera-t-elle encore en 2013 ?
L’Acsé a été créée après la révolte sociale et populaire de 2005, et la mort de Zyed et Bouna. Il y avait une volonté de réforme de la politique de la ville. Cet organisme a créé des outils comme le programme de réussite éducative (PRE), pour 120 000 jeunes quand même… Mais en pleine crise, le ministère de la Ville veut faire des économies, tout en étant plus efficace. C’est légitime. Mais la banlieue ne peut pas souffrir de plus d’économies, avec 22% de sa population au chômage, des services publics pas toujours présents… Néanmoins, je ne suis pas sûre que recentraliser une agence qui était au plus près du terrain, serait plus efficace et plus utile. L’Etat n’est pas toujours le plus efficace. Mais rien n’est acté. Cependant, la RGPP (Réforme générale des politiques publiques), il est vrai, a éloigné les agents de l’Acsé des territoires. Notre politique doit être portée par des agents qui ressemblent à la banlieue, avec une diversité de parcours et d’origine. Pas par des fonctionnaires qui n’ont jamais pris le RER. A l’époque du FAS, les agents avaient des parcours atypiques, ils travaillaient après 20 heures le soir, le week-end… Ils sont maintenant 600 dans des bureaux. Ils doivent revenir sur le terrain.
Akli Aliouat (Kaïna TV, Montpellier) : L’accompagnement scolaire n’est pratiquement plus soutenu par l’Acsé, alors que beaucoup d’associations faisaient ce travail, en bonne entente avec les familles, ce que l’Education nationale n’arrive pas toujours à faire…
La mise en place des PRE a peut-être un peu trop voulu professionnaliser ces acteurs, avec une individualisation à marche forcée. Et en même temps, l’Education nationale a en effet mis en place de l’aide aux devoirs en interne. Mais le PRE a fait ses preuves. On ne reviendra pas l’époque du Fasild.
Naïma Charaï, présidente de l'Acsé
Akli Aliouat : Mais les gamins qui ne sont pas suivis par l’Education nationale, et qui avant participaient à d’autres activités en plus de l’aide aux devoirs, on a peur qu’ils soient récupérés par des « nébuleuses »…
On veut soutenir le monde associatif, citoyen, laïque. Le Premier ministre a dit que la République devait revenir dans les quartiers. Cela passe par l’Acsé. Le monde associatif traditionnel est un rempart contre ces « nébuleuses ». On accompagne 7000 associations. On va faciliter la vie des associations, et développer nos actions autour de la laïcité.
Erwan Ruty (Presse & Cité, national) : Il y a 4 ans, c’était 12 000 associations. Mais les budgets stagnent, alors que ceux dédiés au bâti, à l’Anru, sont considérables…
Le budget est stabilisé, et réorienté, il faut voir que dans beaucoup de ministères, les coupes sont de l’ordre de -10%. L’Acsé ne financera plus les internats d’excellence, qui coûtent un argent fou ; et on fera par contre plus de lutte contre les discriminations.
Moïse Gomis (radio HDR, Rouen) : La question de l’intégration est traitée par le ministère de l’Intérieur. C’est violent ! Vous vous battez contre des gens, dans ce ministère, qui continuent à défendre cette particularité…
Dans le rapport Tuot [pour l’instant rangé dans un placard fermé à double tour ; trop subversif ? ndlr], il est dit que l’intégration devait nous être confiée. Il y a une mission qui négocie cela avec le ministère de l’Intérieur. Mais j’ai une marge de manœuvre réduite. Je reconnais que ça aurait été un signe politique fort de séparer l’intégration de la sécurité… Il faut séparer aussi la question des primo-arrivants de celle de l’intégration. Il faudrait sans doute un grand ministère de l’Egalité : aujourd’hui, l’enjeu est la lutte contre les discriminations. Le rapport Wahl veut aller vers un Haut commissariat à l’Egalité…
Anne Bocandé (Afriscope, national) : Quel soutien à ceux qui, dans la culture, travaillent à une autre représentation de ces questions ?
J’ai écrit à la rédaction de France télévisions, qui a fait, au 20 heures, un reportage sur le « Parler banlieue », à cause duquel les jeunes n’arriveraient pas à trouver un travail… L’interview de ces jeunes était traduit par des bulles, comme dans les BD. C’est inacceptable ! De même que d’avoir une chaîne dédiée à la diversité [France Ô, ndlr]. Tout cela devrait être traité dans le champ de la télé normale ! On devrait avoir des Noirs et des Arabes à « C dans l’air » ou chez Taddeï ! Sans ces changements, la lutte contre les discriminations ne fonctionnera pas. En attendant, nous avons signé une convention avec le Bondy blog et Rokhaya Diallo [émission « Egaux mais pas trop », sur LCP, comme le Bondy blog café, ndlr]. A quand des campagnes d’information et de lutte contre les discriminations comme il y en a sur les inégalités faites aux femmes ou sur la santé ? Heureusement, quand on accompagne des films comme Indigènes, on sort de notre « ghetto » ! Par contre, il faut se demander si on a intérêt à accompagner des super-productions, ou plutôt, par exemple, l’aide à l’écriture de petits films…
France "Wesh Wesh" Télévision...
Par Moïse GOMIS (Radio HDR)
Au moment où se pose la question de la fusion de l'ACSE avec un organisme chargé de la politique de la ville, Naïma CHARAI, la nouvelle présidente de cette agence, se bat pour porter une autre image des quartiers de France et de Navarre. Nommée en octobre 2012, sept ans après la crise des banlieues, Naïma CHARAI se veut offensive. Non seulement l'ACSE doit financer des actions partout sur le territoire métropolitain et outre-mer, mais l'agence doit aussi mener une veille active sur le rôle de certains médias du service public.
Moïse Gomis : On n’a plus affaire directement à vos agents. Il faut juste bien remplir un dossier. Et vous n’êtes plus repéré comme une agence qui impulse des politiques publiques. Que reste-t-il de l’Adn de l’Acsé ?
Plus beaucoup ! On a été assimilé ! Mais la pratique des questions d’histoire et de mémoire est là. On est pour un « 1% mémoire-histoire » dans les programmes de rénovation urbaine, qui permettrait de tourner des films sur l’histoires des quartiers. Le CIV a aussi proposé de travailler sur les anciens combattants avec le ministère de la Défense, au sujet des chibanis… Mais vous avez raison : les agents vont devoir se redéployer sur le terrain.
Naïma Charaï, Frédéric Callens (Directeur de cabinet Acsé) et Moïse Gomis (Radio HDR)
Erwan Ruty : La question de la participation est évoquée par tout le monde, mais en même temps les moyens sont plus faibles et les logiques de centralisation infirment cette volonté…
En juin paraîtra le rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache sur la participation. Il faudra que l’Acsé aille dans les villes, les départements, etc, pour repérer les bonnes pratiques, et faire un annuaire. Puis des Assises, à l’automne sans doute. Avec des propositions. On a aussi intérêt à regarder ce qu’il se passe chez nos voisins. On ne doit pas être dans l’entre-soi…
Anne Bocandé : Est-il bon qu’on aille chercher de l’argent au Qatar ou ailleurs ?
On travaille aussi avec les Etats-Unis et le programme des jeunes ambassadeurs. Mais c’est surtout la France qui doit rester à la manœuvre. Il faut reprendre la main politiquement. Comment… ?
Gabriel Gonnet (Regards2Banlieue, Saint-Denis) : Quel levier pour augmenter les crédits dans les quartiers défavorisés ?
Le budget de l’Acsé sur la Seine-Saint-Denis a été augmenté… Comme celui de Paca ou du Nord-Pas-de-Calais.
Erwan Ruty : Vous êtes une femme, jeune, de province [Bordeaux], d’origine maghrébine et issue du milieu associatif. Ce profil est souvent celui de personnalités qui ont été choisis pour des organismes en charge des quartiers (Fadela Amara, Salima Saa…). Au final, ces qualités sont-elles des atouts, dans le milieu politique dominant ?
On n’arrive pas à l’Acsé par hasard. C’est une qualité d’avoir un parcours atypique. J’ai vécu dans une banlieue rurale, à côté d’une usine sidérurgique avec 300 immigrés marocains qui y travaillaient. Je vivais de manière enclavée. Enfermé, au milieu des champs de maïs. Après avoir vécu ça, est-ce facile de traiter avec des hauts fonctionnaires quinquagénaires Blancs, énarques, ayant vécu dans l’hyper-centre… je ne sais pas. Ce parcours peut parfois les déstabiliser, d’autant qu’il ressemble à celui des habitants des quartiers… Mais j’ai surtout la foi dans l’utilité des politiques publiques dédiées aux quartiers.
Texte : Erwan Ruty
Photos : Anglade Amédée
Collectif Presse & Cité avec Naïma Charaï