Nadir Dendoune, comme un aimant

Le 16-10-2009
Par xadmin

Nadir Dendoune, 37 ans, journaliste, baroudeur, alpiniste. Né en Seine-Saint-Denis. On y revient toujours. Il le raconte.

Je le voyais, le bout du sommet. En vérité, ça faisait deux heures que je l’apercevais et pourtant ça n’en finissait plus de grimper. J’ai pensé à ce marcheur du désert qui crève de soif, qui n’en peut plus, et qui a l’impression de pouvoir toucher l’oasis avec ses doigts et qui commence à perdre espoir. J’ai fini par y arriver, en haut de cette montagne. Putain, moi, au sommet de l’Everest, à 8848m ! C’était le 25 mai 2008, vers neuf heures du matin, la brise était éteinte, le soleil sur son 31. J’ai souri et j’ai pleuré. Trop d’émotions d’un seul coup. J’ai fermé les yeux et j’ai vu la cité. Les flics étaient venus à la tombée de la nuit et nous avaient demandés de les suivre. On était allés derrière, dans un coin discret, et on avait du, avec les copains, se mettre à poil devant eux, de parfaits étrangers. L'un des policiers s'était baissé pour voir si on ne cachait pas un bout d'haschich dans le fion. Ils sont partis en nous promettant qu'on se reverrait.
Ils n'avaient pas menti, je les ai beaucoup vus, je les vois encore: j'ai 36 ans, bientôt 37, et il y a dix jours, ils m'ont collé contre un mur pour un contrôle d'identité inopiné.
Le sherpa qui m’accompagnait s’impatientait. Il m’a dit on dégage c’est trop dangereux à cette hauteur. Il m’a parlé de la zone de la mort. J’ai regardé partout, la vue était vraiment géniale, on était au dessus-des-nuages. J’ai donné l’appareil photo au sherpa, je lui ai demandé d’attendre deux minutes le temps que j’aille fouiller dans mon sac. J’ai frôlé du bout des doigts le drapeau BBR, j’ai regardé les trois couleurs du pays de ma naissance et j’ai tourné la tête. J’avais les larmes qui n’en finissaient plus de couleur. J’ai hésité. Le sherpa m’a dit dépêche-toi on a pas toute la vie devant nous. A coté du drapeau français, il y avait un cœur en carton que j’avais confectionné plus bas. J’avais écrit dessus le chiffre 93. Je l’ai sorti, je l’ai regardé et je me suis senti fier. Je voyais ma mère sur le balcon dans son F5 qui me criait par la fenêtre en me disant mon fils tu as oublié tes bonbons. Le soleil lui inondait le visage alors elle se cachait les yeux pour me voir aller à l’école, pour se rassurer.
J’ai croisé le regard de Karim, un ami d’enfance, partit très tôt, trop tôt. Je me suis souvenu de la fête de la cité, des concerts, des merguez qui flambaient, des frites qui crépitaient, du stand de jeu qu’on tenait avec Yannick. Je me suis souvenu du 25 juillet 1993, de ce jour où j’étais parti la première fois pour Sydney. J’étais tout excité et j’avais la frousse aussi. J’avais tout de suite aimé l’Australie : la plage, le surf, les nanas, les pubs le soir, les sourires, et puis, c’était là-bas que j’étais devenu Français : on m’appelait, moi, Nadir le Frenchie de Paris ! J’ai dit au sherpa « Mitraille, mitraille, avec le numérique c’est de l’illimité ». J’ai rangé mon cœur dans le sac et j’ai de nouveau frôlé le drapeau de la France du pays des Droits de l’Homme. Une voix de paix a murmuré « Nadir, c’est le moment de tirer un trait sur le passé ».
J’ai fermé les yeux et j’ai vu les videurs de boite de nuit me mettre sur le côté, alors que les Blancs entraient faire la fête avec un sourire de paradis. J’ai entendu une nouvelle fois Alain me dire « La nana de l’intérim, elle peut pas te faire bosser, elle regrette, les patrons ne veulent pas employer des Arabes ».
J’ai dit à la voix intérieure de fermer sa gueule. Elle en savait quoi, elle, de tout ce que j’avais vécu ? Elle voulait que j’aime un pays qui ne m’avait jamais aimé. J’ai fermé mon sac avec une rage, c’était pas beau à voir, et j’ai dit au sherpa « Viens, on se casse ». Il m’a demandé si j’étais sûr de moi, c’était maintenant ou jamais. J’ai pas répondu. Je me suis mis de nouveau à pleurer.

Nadir Dendoune / Ressources Urbaines
 

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