Marine Quenin : « Pourquoi dans un pays laïc les jours fériés sont-ils religieux ? »

Un atelier mené par l'association "Enquête" en milieu scolaire
Le 22-09-2016
Par Erwan Ruty

C’est typiquement le genre de questions que se pose l’association Enquête, dont Marine Quenin est la déléguée générale. Elle nous a reçu pour parler de la manière dont ces questions de laïcité et de fait religieux, qui sont au cœur du travail d’Enquête, se posaient en période de tensions religieuses, notamment dans le cadre scolaire où cette association intervient prioritairement.
 

P&C : Comment avez-vous été amenée à vous intéresser à ces questions ?
M. Q :
Quand je me suis aperçue que ma fille, scolarisée dans le 10è arrondissement, avait des interrogations mais que les enseignants n’abordaient pas ce sujet. On a sorti le religieux de la question scolaire depuis la fin du 19ème siècle, laissant ces choses de côté. Les enseignants ne sont pas rassurés sur ça, vis-à-vis des parents ou de l’institution elle-même, et ils ne sont pas compétents là-dessus.

P&C : Dans quel cadre abordez-vous ces sujets vous-mêmes ?
M. Q :
On le fait d’abord dans l’enceinte scolaire, parce que tout le monde va à l’école, c’est là qu’on peut toucher le plus de gens. On a des outils pour les classes, depuis le primaire jusqu’en 5ème par des jeux, mais aussi certains outils à destination des élèves de 3ème. On travaille aussi en direction des enseignants, des éducateurs, ou des Centres sociaux (dans 35 villes : Lille, Bordeaux, Strasbourg, Paris, Grigny, Nogent sur Marne...). On travaille bien dans le cadre de l’aménagement du temps scolaire, avec des ateliers périscolaires. On apporte des connaissances sur les cultes, le temps religieux, les fêtes, les pratiques des uns et des autres, le vocabulaire : athée, agnostique, arabe, musulman, juif, israélien…

P&C : Quels sont vos outils et méthodes ?
M. Q :
On vend des modules en coffret ou en fichier numérique Pdf, des documentaires comme « Pourquoi dans un pays laïc les jours fériés sont-ils religieux ? » ; des pastilles vidéo d'une minute trente ou des formations, du e-learning... On plaide pour que ces sujets soient traités par l’Education nationale, dans les programmes, mais pas forcément comme matière. La nouvelle matière « Education morale et civique », créée cette année, nous y aide.

P&C : Quel est votre angle d’approche ?
M. Q :
Il faut toujours rentrer par du pratique, plus que par du théorique : c’est plus compliqué de s’opposer au pratique…On essaie surtout de travailler sur un mode apaisé, de faire baisser la tension et de dé-essentialiser ces sujets : il n’y a pas « un juif », « un musulman », mais des histoires, des familles juives, musulmanes... Notre objectif est de faire vivre une laïcité d’intelligence, et non pas basée sur les interdits. Surtout, on lie fait religieux et laïcité, ce qui pour beaucoup, n’est pas évident… On a l’agrément « éducation nationale », mais ça reste compliqué de convaincre : beaucoup de profs estiment que ce n’est pas à eux de parler de laïcité ou de religion, et que cela va générer des problèmes. Il y a beaucoup de stratégie d’évitement. Pourtant ces questions passionnent les enfants : il y a des symboles partout, ils voient ça tous les jours, parfois chez eux mais aussi dans les publicités ou dans la vie quotidienne : la Cène, la Genèse, les cloches, Noël, les crucifix, les noms comme Saint-Martin, Saint-Denis…Mais on intervient peu en direction des familles, sauf parfois via les Centres sociaux. Il peut y avoir des conflits de loyauté chez enfants avec ce que les parents leur disent. Ca peut être très douloureux pour eux.

P&C : L’ambiance a-t-elle changé ces derniers temps sur ces questions ?
M. Q :
Ce n’est pas plus difficile qu’il y a cinq ans, quand on a créé « Enquête », mais les paroles les plus violentes sont antisémites. Depuis janvier 2015 et les attentats anti-Charlie, les ventes de nos modules ont été multipliées par quatre.


P&C : Il y a quand même plus de préoccupations sur ces questions, parce que les jeunes en particulier, sont troublés identitairement.
M. Q :
On touche tout de suite aux questions identitaires parce qu’aujourd’hui le religieux les sédimente autour de lui. La construction identitaire a besoin de barrières, mais il faut expliquer ces barrières pour qu’elles fonctionnent. Les interdits peuvent être structurants mais le radicalisme c’est quelque chose qui vous dépasse, c’est simple. Hélas, on ne peut pas rentrer dans l’apprentissage par le complexe, or le monde est complexe…

 


 

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