Maghreb des livres : relégation des banlieues, à qui la faute ?

Le 16-02-2016
Par Erwan Ruty

Les 13 et 14 février se tenait le 22ème Maghreb des livres spécial Maroc à l’Hôtel de ville de Paris (rien à voir avec l’accession de Mme Azoulay, fille d’un conseiller de Mohamed VI, au ministère de la Culture). 150 auteurs, plusieurs dizaines de débats à l’invitation de l’association Coup de soleil : toujours autant d’agitation d’idées, d’affluence…et toujours le black out de la presse française !
 

Focale sur l’un des débats de cette année, au tournant d’une rencontre intitulée « Intégration : quel bilan depuis la révolte des banlieues de 2005 ? » -le mot « intégration » étant bien entendu critiqué par l’animatrice de la table-ronde, la journaliste de Lcp Nora Hamadi. Un débat qui donne lieu à des échanges à fronts renversés entre les participants, l’essayiste Thomas Guénolé (auteur de « Les jeunes de banlieue mangent-ils des enfants ? », succès médiatique qui lui permet de succéder à Laurent Mucchielli au titre de défenseur tous azimuts des banlieues), le journaliste Nordine Nabili (Bondy blog) et un activiste de l’Est parisien, Bakari Sakho (auteur de « Je suis »).
 

« Postures de racailles »

A front renversé car si le premier, politologue en chambre au même titre qu’Alain Finkielkraut, mais de gauche, lui, est le contempteur tardif de tout ce qui stigmatise les quartiers et leurs habitants ; alors que le dernier, ancien gardien d’immeuble de la cité Curial-Cambrai, n’hésite pas à sortir la claquette à renoncement pour conspuer tous ceux qui, du bas de leurs cages d’escalier, crient à la victimisation, mais ne sont jamais allés ne serait-ce que voter : « On joue nous-mêmes souvent les caricatures, à la télé, sur Internet… Il y a des minorités, des rappeurs, des footballeurs, qui sont dans des postures de racailles. La question est : comment on travaille en direction de ces minorités qui font du mal à l’énergie de la majorité ? Celles qui font qu’un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ? » Sur ce point, Thomas Guénolé le rejoint : « Ce regard dominant a des conséquences : Booba, c’est le Joséphine Baker d’aujourd’hui ».
 

Statistiques aléatoires sur le voile

A supposer que l’épopée de cette dernière n’ait été que négative, et à supposer que le parcours du premier, le soit tout autant, pourrait-on objecter… Mais le politologue surenchérit : « Le regard dominant, c’est Y’a bon Banania qui revient. Par exemple, on ne parle que du voile. Or le voile, c’est seulement 15% des femmes qui se déclarent musulmanes qui le portent, et parmi elles, seules la moitié qui le portent à temps complet ». Il finit même par oser : « La pratique de l’islam est en chute libre chez les jeunes de banlieue ». Et de peiner lorsque Nora Hamadi lui demande de préciser comment il détient de telles estimations, arguant d’un travail nourri d’extrapolations à partir d’une enquête de terrain à Stains, et de la synthèse de travaux d’autres chercheurs ou de l’Anru (qui n’a jamais publié de statistiques sur ces questions)…
 

« On laisse faire les autres pour nous »

Bakary Sakho précise : « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de vision politique dans nos quartiers. On est pourtant tous d’accord sur ce qu’il faudrait faire, mais on laisse les autres faire pour nous, chez nous. Et personne ne met la pression pour accompagner les changements qui ont lieu », comme la rénovation urbaine. « A Mantes-la-Ville, tout le monde pleure que le Fn soit passé aux municipales, mais qui a été voté ? Même Marine Le Pen aujourd’hui créé son mouvement pour venir chez nous, pour nous dire comment il faut vivre dans nos quartiers, Banlieues patriotes ! »
 

L’énergie des bloggeurs est maintenant sur Facebook

Centriste toujours tout en nuances, Nordine Nabili tempère, concernant le désengagement des jeunes des quartiers : « Il y a beaucoup d’abstentionnistes qui ne votent pas, non pas parce qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, mais parce qu’ils ne sont pas contents de l’offre politique. De la même manière, on a très vite perdu la rage des années 2007-2008, au Bondy blog. Cette énergie-là, elle est maintenant sur Facebook ou sur Twitter. Nous, on a maintenant un rédacteur en chef qui valide les sujets, des conférences de rédaction, etc. Les jeunes qui sont passés chez nous et sont maintenant dans les médias jugés comme normaux sont déçus du conservatisme qui y règne. Quand ils vont chercher des infos qui ne sont pas dans les radars du journalisme, ils sont considérés comme communautaristes ».
 

Contentieux avec la gauche

Mais pour Nordine Nabili, on doit surtout dénoncer les renoncements des décideurs, notamment de gauche, avant d’accuser le manque d’appétence politique dans les quartiers : « On doit d’abord pointer les renoncements, au Ps en particulier, qui s’est boboïsé. Et qui a une méconnaissance des mouvements dans les quartiers, des années 60 et de la Marche. On a toujours considéré que ces combats étaient périphériques, pas des questions franco-françaises. Il y a un contentieux depuis Sos Racisme. Or, je ne crois pas que l’on vote par réflexe : c’est des habitudes, une culture qu’on acquiert plus facilement quand ses parents votent, qu’ils transmettent quand ils discutent de ce qu’ils voient à la télé au moment des élections... A ce titre, le droit de vote a une importance considérable ».

Devant l’insistance de Nora Hamadi à demander « n’a-t-on pas nous-mêmes une responsabilité dans cet échec », Bakary Sakho concède : « Un activiste du 94 comme Almamy Kanouté [l’un des initiateurs du mouvement politique Emergence, Ndlr] reconnaît qu’il n’a appris que récemment que son oncle avait été lui-même un militant… »

 


 

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