
L’escalade des Dupont Lajoie

Il est des parallèles qu’on envisage peu ; comme ces liens improbables unissant la banlieue huppée de Paris et la France des périphéries. Ainsi les aléas du plan de carrière d’un jeune neuilléen ambitieux fils de son papa, avaient accouché d’un piteux débat sur l’identité nationale. De même, les révélations sur les faveurs fiscales et les privilèges personnels qui se négocient à l’abri des somptueuses demeures en pierre meulière de la banlieue ouest, livrent aujourd’hui la jeunesse délinquante et la communauté tsigane à une surenchère sécuritaire des plus virulentes.
Matière pour un prochain film de Costa-Gavras (cf le "Couperet" ? Plus certainement l’amorce du scénario des présidentielles de 2012. En détournant le regard d’une France soumise aux torpeurs estivales par le recours ad nauseam à la quincaillerie rhétorique du Front national, le président de la République se fait multirécidiviste. Les crises de popularité et l’électoralisme endémique, ont souvent mis à jour les facilités par lesquelles les gouvernements convoquent les arguments lepénistes pour, selon eux, mieux négocier les virages électoraux sensés les sanctionner. Après presque 30 ans d’embardées, ça s’est terminé dans le mur : le FN dispose d’élus dans les collectivités locales, les mots du parti d’extrême droite sont largement banalisés et ses idées durablement installées en qualité d’arbitres du débat politique.
Les dernières convulsions de Nicolas Sarkozy en duo avec son ministre de l’intérieur récemment condamné pour injure raciale, donnent pourtant à cette nouvelle escalade un caractère inédit. Il est vrai que depuis les banlieues populaires, le vitupérant ministre de l’intérieur du gouvernement Raffarin, a pleinement remplacé dans les imaginaires le visage honni de Jean-Marie Le Pen. Par sa « guerre » contre ses ennemis de l’intérieur que sont la « racaille » et les « voyous », Nicolas Sarkozy a largement déshabillé sa politique sécuritaire de toute dimension éthique : peines plancher pour les mineurs récidivistes, militarisation du maintien de l’ordre dans les banlieues, explosion des gardes à vues, dilatation inique du code de procédure pénale et promotion aujourd’hui de la déchéance de la nationalité française et des sanctions contre les « parents défaillants ». Traitements de choc dont on devine une application circonscrite aux seules banlieues. Cumulés à la pression du chiffre exercée sur l’institution policière, les rapports des habitants, singulièrement des jeunes, avec les forces de l’ordre ne pouvaient que s’électriser. Il s’agit bien là d’une politique d’exception qui ne dit pas son nom et qui expose davantage les plus modestes, souvent plus basanés ou immigrés, à un appareil sécuritaire peinant à s’inscrire dans des cadres démocratiques. La République une et indivisible reste encore à inventer au-delà des périphériques…
Cette fuite en avant qui est aussi un aveu de l’échec incontestable de la droite au gouvernement en matière de sécurité publique, flatte désormais les ambitions d’un Front National en pleine mue. Contrairement à son père, Marine Le Pen n’a dans son rétroviseur ni Vichy, ni la Guerre d’Algérie, ni les crânes rasés qui verrouillent les cortèges du parti ; mais plutôt les références politiques et culturelles d’une droite dure, allergique aux questions sociales et qui sait habilement jouer sur la xénophobie du quotidien sans sombrer dans des délires racistes. Autant de vertus sinon de retenu qui sont la marque même du Président et de ses lieutenants. Faut-il en douter, mais le FN de Marine sera certainement… sarko-compatible. La passation de pouvoir qui devrait prochainement animer le parti frontiste, risque bien d’hypothéquer les dernières convictions républicaines d’une UMP qui en voulant siphonner l’électorat du FN, en a finalement adopté les valeurs.
Quant à la gauche, après les condamnations unanimes, elle est sommée par le dernier sondage du Figaro de prendre position et d’afficher sa proposition en matière de sécurité. Là aussi on peut s’attendre au pire, tellement le gouffre avec les forces vives des banlieues s’est creusé depuis les évènements de 2005. Ni les taux records atteints par Ségolène Royal en banlieue, ni les listes autonomes aux dernières municipales, n’ont suscité réflexions et initiatives dans les partis de gauche. Au regard de l’abstentionnisme qui gangrène chaque élection et du désarroi qui s’est emparé du pays, il est probable que la gauche paie le prix fort cette cécité et cette crainte inavouée de la nouvelle élite made in banlieue.
Ce n’est pas un scoop ; les prochaines échéances électorales se feront malheureusement sur le thème de l’insécurité. Chaque fait divers sera prétexte à diatribes, mesures démagogiques et entorses aux principes constitutionnels. La jeunesse des banlieues, à son corps défendant, est convoquée à ce débat sans droit de réponse et peut-être sans volonté d’y participer autrement que par l’incendie ou le caillassage. En ce mois d’août qu’on aurait voulu moins menaçant, qui peut encore contester que l’érosion de la République, son dépassement ou son renouvellement, se jouent plus qu’ailleurs dans les banlieues ?
Farid Mebarki – Président de Presse & Cité