Les lascars contre le Qatar (et le PSG au milieu) : l’autre exception culturelle française

Le 16-05-2013
Par Erwan Ruty

La mini-émeute du Trocadéro le 13 mai dernier a une petite odeur de cliché urbain sur les banlieues ; mais elle révèle surtout l’état des fractures françaises qui s’approfondissent de jour en jour.

 
Car de quoi s’agit-il aussi ? D’un clash où le détonateur (des ultras de la tribune Boulogne) a rencontré la poudre (des lascars qui ont décidé de s’émeuter) ; dans un contexte qui ne date pas d’hier, et qui voit épisodiquement surgir par effraction sur nos écrans de télé nationaux une jeunesse tour à tour désoeuvrée ou rageuse, mais surtout exclue de toutes les structures susceptibles de la représenter ou de l’intermédier, puisque l’histoire des trente dernières années s’est occupée d’éradiquer progressivement ces structures du paysage social français (ainsi L’Acsé, qui finançait 12 000 associations en 2007, n’en finance dorénavant plus que 7000 -un exemple parmi mille et un signes de l’état de déshérence dans lequel se trouvent les quartiers).
 

Chapes de plomb et plafonds de verre

Car telle est bien la réalité des quartiers : alors que les émeutes (encore) de 2005 avaient suscité un afflux de moyens et un intérêt national sans précédent depuis le tournant des années 80, plus celles-ci s’éloignent dans le temps, plus les moyens fondent, et plus la chape de plomb du mépris et le plafond de verre des préjugés se renforcent.
 

Fonds Qataris et tee-shirts Fly Emirates

Mais on a surtout assisté ce soir-là dans le XVIème arrondissement de Paris à un choc des civilisations dont on parle moins : celui entre un émirat gazier richissime qui semble vivre sur une autre planète et en un autre temps, bien loin de la crise, entre des footballeurs aux rémunérations insensées, starifiées, adulées, volontiers évadés fiscaux, souvent montrés aux bras de bimbos plus ou moins prostituées ou de mannequins permanentées, et entre une jeunesse des quartiers qui n’a reçu du Qatar, pour l’instant, que des tee-shirts Fly Emirates… alors qu’on lui promettait naguère un fantasmatique butin qatari de 50 millions d’euros, supposément dédié aux banlieues.
 

Esplanade des droits de l’homme ou des émeutes

Bref, le moins que l’on puisse dire, c’est que la place du Trocadéro, naguère réputée pour ses démonstrations et ses battles de break dance, semble devenue, l’espace d’un soir, la vitrine des frustrations et fractures françaises. Une image chasse l’autre, mais la réalité persiste : la fête des uns appelle l’envie des autres. Ici, cela se traduit en émeutes ; et ici, au pays des Lumières, les émeutes se font sur l’Esplanade des Droits de l’Homme. Ce doit être ça aussi, sans doute, l’exception culturelle française. Heureusement, le festival de Cannes commence deux jours plus tard. Pas assez de lascars sur la Croisette : un autre monde, tout aussi décalé de la réalité que l’est celui du football blin bling, occupera dès lors la totalité des écrans plats.

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