Les adultes et les jeunes… le malaise

Le 04-03-2013
Par Erwan Ruty

Bruno Van Der Borght a été directeur de Prévention Spécialisée en Seine-Saint-Denis pendant 9 ans ; il est aujourd’hui directeur d’un Institut Thérapeutique, Educatif et Pédagogique et d’un SESSAD en Haute-Savoie. Il revient sur les liens, pour le moins distendus, entre le monde de l’adolescence, les institutions, et les adultes parents. 


 
On regarde souvent la jeunesse, surtout celle des quartiers populaires, défavorablement… pourquoi ?
 
Cela dure depuis l’antiquité et c’est valable pour toute la jeunesse ! Ces petits êtres étranges qui ne sont pas finis, et dont on ne sait pas où ils vont, on ne les comprend pas. Pas plus qu’on ne connaît ces quartiers, qu’on juge dangereux…
 
pour la société, les pères incarnent la loi. Le père disparaît, et la fonction paternelle doit parfois être incarnée par la mère…  c’est une gageure
On mêle souvent dans une même désapprobation les jeunes et leurs parents…
 
Oui, tout cela n’est pas favorable à l’épanouissement des adolescents ! Avec le développement de la famille monoparentale, on retrouve souvent des familles construites autour d’une maman seule. Le système judiciaire favorise encore cela, dans les séparations conflictuelles. Or, pour la société, les pères incarnent la loi. Le père disparaît, et la fonction paternelle doit parfois être incarnée par la mère…  c’est une gageure ! Et cela brouille les cartes. Prises entre les contingences du quotidien et la nécessité d’être efficaces certaines mamans peuvent nourrir un rêve de toute puissance. Elles n’ont pas forcément le choix et cela à un coût…
 
 
Les pères eux-mêmes sont souvent disqualifiés par la société…
 
Oui, avant, le père préservait la sécurité, défendait la famille, offrait un toit… maintenant, c’est souvent le frère aîné, qui est l’homme de la famille. Cela nourrit des relations ambiguës, notamment avec la mère : l’aîné est-il soumis à l’autorité de la mère, ou peut-il s’en affranchir ? L’aîné pouvait être un soutien, quand, dans des familles élargies, l’oncle, le grand-père étaient là aussi sous le même toit. Mais quand ce cadre macro-familial est resté au pays, dans le cas d’enfants d’immigrés, cela ne peut se faire. Il y a un vrai problème avec la masculinité. Ce qui la fondait n’est plus là : la terre, le travail… 

 
N’y a-t-il pas aussi un flou entre le monde des adultes et celui des enfants ?
 
Oui, avant, il y avait l’école, l’armée et le monde du travail, qui permettaient autant de rites de passage, ça s’est dilué.
 
les parents sont très demandeurs d’école pour leurs enfants. Ils en font un enjeu trop lourd
D’autant que l’école a changé…
 
On disqualifie le corps enseignant, et les parents eux-mêmes le considèrent comme un prestataire de service. On est encore un peu dans le règne de l’enfant-roi, qui est la règle depuis le baby-boom… Pourtant, les parents, plus encore ceux qui n’ont pas été eux mêmes à l’école continuent à l’investir comme un mythe : ils sont très demandeurs d’école pour leurs enfants. Ils en font un enjeu trop lourd. Ils pensent qu’elle sauvera les enfants. Or l’école a changé, elle ne peut répondre à ces attentes. Elle est moins un ascenseur social qu’avant. Quand l’enfant échoue, c’est aussi un échec pour les parents : l’enfant s’oppose à eux, et au regard qu’ils portaient sur l’école. Ce qui fait que beaucoup d’enfants fuient l’école. Cela n’apparaît pas dans les statistiques. 
 
 
Quels modèles ont les enfants, les jeunes, les adolescents ?
 
Quand les pères sont absents, pour les garçons, la référence principale devient le groupe de jeunes.  Les potes sont là, souvent dans la rue. Et la rue, c’est une société hyper-structurée et en même temps, une société qui touche à tout, qui zappe. Certains des adultes qui la parcourent peuvent faire prendre, aux plus jeunes, les vessies pour des lanternes. Il peut y avoir captation des plus jeunes. Y compris par les religions, selon des modèles différents de ceux que valorisent la République, notamment par rapport aux femmes. Et selon des modèles plus transgressifs. 
 
 
Et pour les jeunes filles, justement ?
 
Quand on est dans des familles issues de l’immigration organisée avec des modèles familiaux traditionnels, notamment dans les rapports homme/femme, elles sont souvent soutien maternel. Elles s’occupent des petits frères et sœurs, de la maisonnée. Jusqu’à un certain âge, cela ne pose pas de problèmes, et reste cohérent  avec certaines valeurs vieilles France. Les soucis peuvent arriver à l’adolescence, quand elles veulent sortir de la famille. Ca peut provoquer des conflits, avec les mères en particulier. Les filles peuvent alors refuser les délégations maternelles ou les détourner. Dans ce type de contexte, l’école devient une opportunité valorisée par la famille. Elles s’y investissent beaucoup. Et du coup, souvent, ont de meilleurs résultats. Elles y conquièrent une nouvelle liberté. Le clash peut pourtant aussi survenir. Certaines se mettent à intérioriser la violence qu’elles subissent, à déprimer, ou à se comporter comme des garçons. Elles ne vont pas bien, vivent mal leur corps… tout cela en secret, y compris dans leurs relations avec leurs amoureux (qu’elles fréquentent hors du quartier, dans des caves dans certains cas…) 
 
La société de consommation valorise la loi du plus fort, du plus beau, du plus riche… tout ce que les sociétés s’efforçaient de réguler, avant
Il semble que les adultes aient du mal à transmettre un certain nombre de valeurs
 
On est dans une société qui valorise l’individu. C’est contradictoire, c’est absurde ! Une société, par définition, c’est collectif ! Le rapport à l’autre devrait être structurant, donner des repères. L’autre est le moyen du bien-être de l’individu : celui qui paie, qui aime, qui forme, qui accompagne... La consommation veut se substituer à l’autre, comme moyen de bien-être ! Or, la consommation, c’est la toute-puissance : je me nourris de moi-même, de mes envies… jusqu’à la folie ! La société de consommation valorise la loi du plus fort, du plus beau, du plus riche… tout ce que les sociétés s’efforçaient de réguler, avant. Les mannequins qui s’auto-détruisent, c’est ça la société de consommation ! On voit bien que le problème est là, loin, très loin de la présupposée démission des parents des quartiers ou d’ailleurs!
 
 
Propos recueillis par Erwan Ruty

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