Le combat anti-raciste trente ans après SOS racisme : héritage ou contre-exemple ?

Le 03-08-2012
Par Mérième El Alaoui

Ces dernières années ont été marquées par l’extrême droitisation du débat politique. Les associations antiracistes ont eu du travail… Mais ont-elles été à la hauteur ? Où en est le combat pour l’égalité près de trente ans après la création de SOS racisme ? L’association la plus connue du grand public reste aussi la plus controversée. Offre-t-elle un héritage militant ou est-elle un contre-exemple pour les acteurs de terrain ?

 
La première marche pour l’égalité et la justice a eu lieu 1983. La plupart des jeunes militants anti-racistes d’aujourd’hui n’étaient même pas nés ou encore dans leur poussette… Un grand rassemblement national spontané né sur le terrain associatif, nommé aussi « la Marche des beurs », a donné naissance à l’association SOS racisme en 1984. Près de trente ans plus tard, l’association surmédiatisée est toujours active. Pourtant, malgré sa longévité et sa notoriété, elle reste très mal perçue, voire détestée par beaucoup dans les quartiers populaires.
 

« La question ethnique n’a jamais fait partie du discours des marcheurs.»

« Dès le départ, cette association a été créée pour occulter les vraies revendications des mouvements associatifs des années 80 ». Saïd Bouamama n’a pas de mots assez durs pour qualifier « SOS ». Pour le sociologue et auteur de l’ouvrage Dix ans de marche des beurs. Chronique d’un mouvement avorté, non seulement l’association n’a pas servi le combat anti-raciste, mais elle l’a freiné. « La question ethnique n’a jamais fait partie du discours des marcheurs. Il y avait justement la volonté d’une égalité totale et juste. Mais dans les médias, on a renommé notre action « La marche des beurs ». « SOS », dont le principal appui est le Parti socialiste, a relayé ce terme qui était en fait un piège. Cela a ethnicisé le débat pour éviter de parler des problèmes concrets du logement ou de l’emploi ». 
 

« Touche pas à mon pote ? Un slogan flingué ! »

Pour Saïd Bouamama, ce n’est pas un problème de mot : c’est ce que cachent les mots qui pose question. Il décrypte aussi le terme « pote ». « Dans ‘Touche pas à mon pote’, la personne qui agit contre le racisme vole au secours de son « pote ». Pourquoi est-ce que ce n’est pas la victime qui défend ses droits elle-même au nom de la justice ? SOS Racisme a maintenu l’anti-racisme paternaliste ». « Touche pas à mon pote », le principal slogan de SOS, résume bien le décalage entre l’association et les acteurs de terrain d’aujourd’hui. « Un slogan flingué ! » pouffe de rire Damso, de son vrai prénom Adama, du collectif Cité en mouvement. « Juste avec ce slogan, on comprend qu’on n’est pas dans le même monde ! On le sait tous,
« SOS » ne nous représente pas
précise ce jeune militant de trente ans. 
 

« On sait tous que SOS n’est pas du tout implanté sur le terrain »  

Pire, pour Gilles Sokoudjou, président des Indivisibles, l’association est belle et bien un outil de manipulation. « Ce n'est un secret pour personne, de Julien Dray à Harlem Désir en passant par Fadela Amara et autres... Nous savons ce qu'il s'est passé ». Une amertume largement partagée dans les associations. Résultat, même ceux qui ne sont pas politisés ni au fait de l’histoire précise du mouvement SOS se méfient. « Je ne m’intéresse pas du tout à la politique… Je n’ai jamais voté avant les présidentielle 2012 ! Pourtant, on sait tous que SOS n’est pas du tout implanté sur le terrain ». Un traumatisme qui perdure de génération en génération.
Certains militants ne s’en sont jamais vraiment remis et vouent à la gauche une détestation hors-normes
commente Gilles Sokoudjou. 
 

Où en est le combat contre le racisme ?

Mais concrètement, malgré les guerres de tranchées entre associations, où en est le combat contre le racisme ? En 2012, les actes racistes sont plus que jamais d’actualité. « Les violences reviennent au goût du jour, des militants d'extrême-droite prennent maintenant un malin plaisir à détruire les carrés musulmans des cimetières, à attaquer des musulmans sur le chemin de la mosquée. C'est un phénomène nouveau, en constante augmentation depuis près de cinq ans. Je n'entends pas ce grand mouvement là-dessus. Y aurait-il différents degrés dans l'importance que nous donnons aux actes racistes ? » déplore le président des Indivisibles.
 

Une récupération qui n’est pas l’apanage de « SOS »

Pourtant, forte de ses subventions records et de sa force de frappe médiatique, « SOS » aurait le moyen de le faire. Les moyens justement, c’est aussi l’une des raisons qui expliquent la fracture. « Mettez-vous à la place des associations qui se battent au quotidien avec des moyens limités et qui n’ont aucune visibilité de la part des médias. Quand elles voient les moyens de SOS, la détestation est encore plus grande » explique Saïd Bouamama. SOS serait le mal absolu ? Damso, connu pour son franc parler, reconnaît que la manipulation des associations anti-racistes n’est pas l’apanage de celle créée par Julien Dray. « A chaque fois qu’un leader charismatique émerge, les autorités nationales ou locales essaient de le récupérer. On lui donne un travail, un appartement pour qu’il se taise… » Et de lancer dans un grand rire : « On ne sait jamais, dans 10 ans, on dira peut-être : ‘‘On se rappelle que Damso n’avait pas sa langue dans sa poche, mais aujourd’hui il a été acheté !’’ » poursuit-il. 
 

« Maintenant, tous les groupes prennent en compte l’héritage colonial »

Avec son collectif, il a accepté l’aide de personnalités du MJS (Mouvement des jeunes socialistes), tout en jurant garder sa liberté. « Je n’aime pas trop critiquer les autres car je sais que l’homme a ses limites. Rien n’est simple, mais on se bat tous les jours » résume-t-il. Lucide, c’est justement pour cela qu’il organise avec les autres militants des séances de formation. « On apprend à décrypter les messages, les codes et les schémas politiques… Pour ne plus se faire avoir comme nos aînés ». Saïd Bouamama, qui décrypte le combat anti-raciste depuis son émergence dans les médias français, est mitigé sur la relève. Néanmoins, « fait primordial : tous les groupes prennent en compte l’héritage colonial, ce n’était pas le cas avant. Un héritage qu’il faut intégrer pour mieux dépasser » Le côté négatif concerne, selon lui, la capacité d’agir. « Chaque groupe est dans le rejet des autres. Ils n’ont pas compris qu’il ne faut pas attendre d’être unis pour vivre ensemble. C’est l’un de mes combats. Toutes les autres catégories sociales ou politiques sont capables d’agir même s’il y a des désaccords sur des points secondaires ». 
La meilleure solution serait d’investir le terrain politique. Saïd Bouamama y travaille avec le Forum social des quartiers populaires. « On prépare la manifestation la plus importante possible pour faire pression sur François Hollande pour ne pas qu’il recule sur le droit de vote des immigrés ». La solution, pour de plus en plus d’associatifs, est de peser sur les débats politiques en ayant la plus grande visibilité possible. 
 
 
NB : Anciens et nouveaux responsables de SOS Racisme n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.
 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...