
Le business béni des immigrations…

Toutes les idées sont bonnes à prendre! En matière de business, les anciennes colonies dont sont originaires beaucoup de Français, sont une source d’inspiration intarissable.
«Le taxiphone, j’y viens d’abord pour faire des économies », lance Samira, secrétaire. Française, elle garde un lien fort avec l’Algérie, le pays de naissance de ses parents. D’où des appels fréquents vers la Kabylie. « Je contacte ma famille environ 2 fois par semaine. Je suis proche d’elle. Mais j’évite de pulvériser mon forfait mobile.» Budget moyen mensuel ? « 20 à 30 euros », estime t-elle, visiblement réjouie. Car pour les budgets limités, le taxiphone, c’est quand même la bonne astuce venue du bled…Maghreb, Afrique sub-saharienne ou Asie, ces pays regorgent de ces « officines » dédiées à la téléphonie à bas prix. Mohamed Chagrani, Français d’origine marocaine s’est d’ailleurs lancé dans ce marché suite à ses voyages au Maroc. Diplômé en télécom, il décèle un potentiel économique important dans le secteur. « En 2004, j’ai ouvert ma boîte avec un ami à Choisy-le-roi (Val-de-Marne). Deux autres suivront.» Et c’est le carton plein. « Pendant quelques temps, on a tourné avec 3 call-box (comprendre taxiphone) avant de les centraliser en un lieu unique. » Avec une trentaine de postes téléphoniques, Central Service brasse quelques « 900 clients par jour », selon lui. Et le chiffre d’affaire est au beau fixe. « On comptabilise environ 40000 euros par mois », annonce le jeune patron trentenaire. L’année dernière, Central Service a enregistré 600000 euros de revenus. C’est dire si le marché est juteux…
Une bonne affaire pour tout le monde…
Du côté des opérateurs téléphoniques, aussi on se frotte les mains. Pour Robin Segré, à la tête de IPCASH, les affaires sont florissantes. Avec près de 900 gérants de taxiphone dans leur portefeuille client, la boîte s’est fait une jolie place au soleil. Selon lui, « les 3000 boutiques de téléphonie sur tout le territoire rapportent plusieurs millions d’euros par mois.» Lui avance 800000 euros de chiffre d’affaire par mois. Pas étonnant que le marché ait connu un essor important ces dernières années. Né en Grande-Bretagne au milieu des années 90, le concept ne tarde pas à se développer en France. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser c’est à Londres que les premières boutiques fleurissent en 1993 », précise t-il. Mais, le concept est porté par les populations d’origine étrangère ou issues de l’immigration. En France, il se développe jusqu’à atteindre son apogée au milieu des années 2000.
…Mais un marché en sursis ?
Mais depuis quelques années, les gains générés par les taxiphones sont en perte de vitesse. « Ces derniers temps, j’ai vu beaucoup de taxiphones fermer boutique », relève Mohamed Chagrani. « En cause, d’après lui, l’arrivée des cartes SIM prépayées type Ortel. » Un constat auquel souscrit un « ex-habitué » des taxiphones. Ahmed, travailleur immigré, ne fréquente quasiment plus ce type d’échoppe. « Si ce n’est pour acheter une carte prépayée donnant accès un minutage conséquent vers le pays choisi. Le Maroc en l’occurrence pour lui. « Cela évite de passer ses appels dans le taxiphone. Avec la carte prépayée, j’appelle mes proches depuis mon domicile», explique t-il , vantant les mérites de ce nouveau système. Une chance pour les consommateurs. Une calamité pour les propriétaires de taxiphones. Parmi eux, Radja, gérant d’un call-box à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), ouvert en 2001. Ce patron d’origine sri-lankaise est plutôt morose sur l’avenir des taxiphones. « C’est très dur. Je dirais que 30 à 40% des boutiques ferment autour de moi », remarque t-il, acerbe. « On arrive juste à payer les frais. » Avec un salaire net mensuel oscillant entre 1000 et 1500 euros, Radja n’a pas fait fortune… Si le filon s’étiole, qu’est ce qui fait encore tenir ces boutiques si spéciales ?
Un rôle culturel…et social
« C’est simple, il y a un côté bled au taxiphone. Il y a les mêmes au fin fond de la Kabylie », s’exclame Samira, amusée. Des propos que rejoint Robin Segré. «Le taxiphone porte une vraie dimension culturelle. Regardez bien, ces boutiques sont toujours implantées dans les quartiers populaires. Ca ne marcherait jamais à Neuilly-sur-Seine !» N’oublions pas les travailleurs immigrés constituent l’essentiel de la clientèle dont les attentes dépassent parfois la simple consommation téléphonique. « Le taxiphone, c’est un vrai endroit social ! » Confronté au terrain, Mohamed Chagrani le voit tous les jours. «Billets d’avion, aide administrative ou simple discussion, les clients viennent aussi pour trouver du lien social.» Egalement importés de l’étranger, et plus particulièrement du Maghreb, les taxis collectifs font leur apparition en France. Choukri Soudane, 31 ans, taxi a créé taxiscollectifs.com Comme son nom l’indique, la petite entreprise propose des courses partagées. « J’avais vu cela au bled, en Tunisie, et c’est vrai que cela m’a inspiré », souligne t-il. Avec 130 membres répertoriés sur le site, le jeune entrepreneur espère développer son activité. Reste à savoir si l’envie de contact humain peut pousser les Français à s’adonner aux joies du taxi collectif. « C’est vrai que culturellement, c’est différent du Maghreb », concède t-il. Et Choukri d’ajouter, « dans le contexte actuel, beaucoup de gens courent après les économies… »
Nadia Henni-Moulaï