La gauche et les banlieues : l’année 2013, de défaites en débâcle ?

La-republique-des-peuples-Georges-Salandre
Le 19-12-2013
Par Erwan Ruty

Il semble que pas un jour ne passe sans que la gauche de gouvernement n’enfonce un peu plus la tête des banlieues sous l’eau. Depuis les renoncements sur le droit de vote ou les mesures de limitation des abus du contrôle policier au faciès… jusqu’à la polémique et la retraite en désordre suite aux rapports sur la réforme de la politique d’intégration. 

 

Certes, les associations et porte paroles légitimes ou auto proclamés travaillant sur ces questions y ont leur part de responsabilité : incapacité à œuvrer dans un même sens ou d’une voix a minima concordante, incapacité à faire naître des leaders capables de travailler de manière collective, immaturité de ceux qui ont été appelés par les institutions à proposer des projets cohérents en faveur des banlieues…

 

La droite ferait-elle mieux que la gauche ?

Si l’on devait juste rappeler quelques épisodes de l’année, on devrait relever : 

-les renoncements quant aux annonces pré-électorales (contrôle au faciès et droit de vote)

-le peu de cas fait de la remarquable (et pourtant très largement soutenue par le ministre de la ville) mission Machmache-Bacqué, dans la loi Lamy sur la politique de la ville : de participation des habitants il n’est que très peu fait mention, tant on a l’impression que cette loi avait pour principal objectif de rendre le zonage « politique de la ville » plus clair, plus juste, moins large, le tout, surtout… sans heurter les élus, qui semblent les seuls interlocuteurs intéressants pour les ministères (et donc les habitants très secondairement concernés par ce type de réforme technocratique et politicienne). 

-l’absence complète de réponse aux propositions (certes confuses) du groupe de dix associations reçues à deux reprises par François Hollande (et dont faisait partie Presse & Cité)

-la réduction à zéro par ce gouvernement des lignes de soutien qui avaient été créées par le précédent ministère de la Culture, en direction des médias de quartier (voir la tribune : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient touchés »). Conséquence directe, la plupart de ces médias sont dorénavant dans une situation catastrophique, et l’un d’entre eux, un chantier d’insertion dans l’audiovisuel actif depuis plus de 15 ans, la Cathode, arrête son activité en décembre. Les multiples demandes de rendez-vous au ministère de la Culture faites par Presse & Cité, et le soutien même de l’Elysée à ces demandes, n’ont eu aucune réponse… contrairement à l’écoute de très haute qualité que nos médias avaient reçu à l’époque de Frédéric Mitterrand (et aux conséquences concrètes qui en avaient découlé)… la droite ferait-elle mieux que la gauche, en la matière ? De Borloo à Mitterrand, clairement, oui !

-le refus sidérant des décideurs de prendre la parole (et encore plus : de choisir de soutenir un événement) au moment du 30ème anniversaire de la Marche, pour reconnaître la place que cette page d’histoire a eu pour des millions de français, et pour la France en général (sous prétexte que les porteurs de cette mémoire sont divisés –mais ne revient-il pas justement aux décideurs de se placer au-dessus de ces divisions locales pour créer du consensus national ?)

-last, but not least, la déroute provoquée par le rapport sur « l’intégration » : 250 chercheurs et acteurs des quartiers (parmi lesquels, pas un seul média, a fortiori issu des quartiers !) seraient-ils tous « en dehors » des réalités de ce pays, comme semblent l’assurer Matignon comme l’Elysée d’un revers de la main ? Quoi qu’il en soit, les conséquences de la publication de ces rapports, voulues ou non, seront essentiellement d’enterrer toute velléité de parler des banlieues avant les élections, de la part de la gauche, avec ses propres mots. Gageons par contre que la droite, elle (et surtout l’extrême-droite), ne s’en priveront pas !

 

Choix électoraliste

Mais les décideurs auraient tort se retrancher derrière la faiblesse des acteurs des banlieues pour justifier ces renoncements, car ces mêmes institutions sont loin d’avoir permis de renforcer ces acteurs. Il semblerait donc que le choix stratégique, avant les municipales, est clair : les électeurs de banlieue ont certes largement contribué à la victoire de Hollande à la présidentielle, mais ils ne voteront pas aux municipales, comme d’habitude, du moins pas avec un réflexe gauche/droite, mais avec un réflexe « localier », en fonction des personnes. Et donc, il y a sans doute beaucoup d’électeurs à perdre au centre et à droite, à faire des gestes à caractère national en direction des banlieues. Et pas beaucoup à y gagner… 

 

Christiane Taubira le regrettait dans un entretien accordé en exclusivité à plusieurs membres de Presse & Cité : « Nous avons raté le rendez-vous des 30 ans de la Marche, je le regrette. »

D’autant plus raté que même l’angélique (mais pas pour autant ingénu) Toumi Djaïdja s’est fendu d’un communiqué de presse pour tacler publiquement le ministre de la ville alors ce dernier voulait l’inviter à poser une plaque à Vénissieux en mémoire de la Marche. Réponse de la figure de la Marche, en substance : « Une simple pierre, 30 ans après, pour 100 000 manifestants à l’origine de l’émergence d’une génération entière de français qui ont refait l’identité de ce pays ; et alors que la gauche et la France en général ont si peu fait pour cette génération ? Peut mieux faire ! Sans moi ! » On ne saurait lui donner tort. 

 

Un symbole qui vient clore une séquence très négative pour les quartiers, et qui sans doute une autre, électorale, qui sera pire, puisqu’il s’agira avant tout de ne pas froisser les électeurs du FN…

 

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