La banlieue rouge deviendra-t-elle une zone verte ?

Le 11-06-2009
Par xadmin

Sept kilomètres de long, 250 mètres de large, L’Île-Saint-Denis est un territoire atypique dans l’ancienne ceinture rouge de la Seine-Saint-Denis. Une île-ville qui se veut verte, se baigne toute l’année au milieu de le Seine, mais qui n’oublie pas que toute cité du 9-3 doit avoir son lot de béton et de tours HLM (ici : 69% de logements sociaux), histoire de se souvenir de son passé ouvrier.

Michel Bourgain son maire (Vert épaulé par une équipe municipale issue de la société civile), résume, lapidaire : « On garde le cœur rouge, mais notre écorce est verte ». Dans ce bastion historique du PC, où les cités portent toutes le nom d’un grand homme du Parti (Thorez, Marcel Cachin, Lénine…), pas sûr que la métaphore ait convaincu. Pour telle habitante qui se dit apolitique, « le maire est plutôt de Droite, je crois », pour tel autre, « ça se boboïse ». Un fameux journaliste et présentateur de France Télévisions qui habite sur une péniche, une jeune chanteuse pop qui loge en bord de Seine… Pas facile de convaincre une population au revenu annuel moyen de 7369 euros, majoritairement issue de l’immigration (62 pays d’exil différents), et qui a vécu la saga du communisme municipal jusqu’en 2001, que tout ce qui n’est pas communiste n’est pas pour autant « à Droite ». Pourtant, c’est l’objectif fou que s’est imposé l’équipe siégeant actuellement dans la salle du conseil, peinte des fresques de symbolistes qui, aux côtés de Sisley, firent les grandes heures de l’île, il y a plus de cent ans : retrouver l’esprit village, l’ambiance champêtre, le goût des guinguettes, le souvenir des mariniers… Un défi, pour cette langue de terre qui a successivement été l’un des entrepôts parisiens dans les années d’après-guerre (installation des magasins des galeries Lafayette et du Printemps, de cimentiers ou d’entreprises de construction), puis a subi comme ailleurs la désindustrialisation (dégraissages des usines voisines, Alstom ou EDF).

Les avis sont partagés sur les conséquences de tout ces bouleversements, et les plus vieux ne sont pas toujours ceux qui se plaignent le plus : « Il y avait des champs avec des vaches sur un kilomètre et demi, des jardins ouvriers au Sud et juste à côté d’ici, une ferme », se rappelle Gisèle Membré, ancienne ouvrière de 80 ans résidente d’un des pavillons qui fait de la résistance aux pieds les tours de 15 étages, près du pont de Saint-Ouen. Pas nostalgique pour un euro, la bonne dame qui habite là depuis 1949 : « Il faut évoluer avec son temps. C’était rural, et avec la modernisation, on a eu le tout à l’égout. L’évolution a été dans le bon sens ! »  Quant aux changements de population, pas de panique : « On dit que les gens sont moins solidaires, mais pas ici. Il n’y a pas de racisme. Un Algérien, un Noir ou un Vert, je dis bonjour, même si on se connaît pas toujours. Un petit signe suffit. Et puis il ne faut pas dire les jeunes ceci, les jeunes cela. Les garnements que j’ai connus petits, ils sont maintenant parents… » Un discours que ne semble pas partager Lamine Diarra, 33 ans, éducateur sportif et sommité du rap local. « On a l’impression qu’il y avait plus de choses pour les jeunes avant, mais c’est qu’on avait moins de besoins. Quand j’allais aux opérations " Sport été ", j’étais toujours content, et quand on allait à la mer, c’était vraiment la fête. Maintenant, il faut toujours plus d’argent, toujours quelque chose de vraiment impressionnant pour satisfaire les jeunes : aller à la mer, oui, mais… en Californie ! On est débordés, même en temps que grands frères. J’ai l’impression que parfois, je n’ai plus rien à leur dire, même dans le rap : Public Enemy, pour eux, c’est rien à côté de 50 Cents*. Mais comment tu peux t’identifier à 50 Cents ? Jamais ils ne pourront être comme lui ! Maintenant,  ils veulent tout essayer, tout de suite, trop jeunes. Ils ont trop le temps de se faire engrainer. Moi, quand ça m’est arrivé, j’étais en âge de choisir, et de dire non. Pourtant, l’Île-Saint-Denis se prête aux clichés de carte postale : tout le monde se connaît, les péniches, la petite mairie… mais ma vision à moi c’est que les gens sont de plus en plus dans la merde, et que c’est chacun pour sa poire. Ici, c’est la banlieue. Par rapport à la province, tout est dur. Avoir sa carte grise à la Préfecture, c’est dur, la boulangère qui te parle mal, les automobilistes qui s’insultent… tout est dur. On est nés dans ça, on est agités. Pourtant, il y a plein de paradoxes. On n’est pas si mal, mais on aspire à mieux. » Comme quoi, les jeunes turbulents d’hier rêvent de tranquillité aujourd’hui. Certains seront même peut-être les bobos de demain. Signe avant-courreur : sur cette île comme dans les plus grandes villes de Seine-Saint-Denis, la liste Europe Ecologie est arrivée devant celles du Front de Gauche, du PS et encore plus du NPA, aux européennes du 7 juin.

Erwan Ruty

*nom d’une star du rap américain, à la fois hardcore et bling-bling

 

Entretien avec Michel Bourgain, maire de L’Île-Saint-Denis

Comment passe-t-on d’une banlieue ouvrière à une ville toujours populaire mais écologiste ?

On a réactivé l’esprit de l’éducation populaire, notamment auprès des gens issus de tout le reste de la planète… les valeurs universelles d’entraide, de simplicité et d’échange, la fierté de ses origines. La conscience que tout a un prix, alors que la société de consommation dominée par le bling-bling dévalorise ceux qui n’y ont pas accès. Nous avons redonné confiance à une partie de la population, en même temps qu’une autre partie, qui attendait tout de l’Etat, a perdu confiance en elle. On a remis au travail des gens qui en manquaient avec des projets d’économie sociale liés à l’environnement ; ça nous a permis de réhabiliter l’humain en même temps que le cadre de vie.

Quels projets portent cet esprit ?

Le tramway, la participation des habitants (1 comité de quartier par semaine), ou la cuisine en liaison chaude : la santé est cruciale dans les milieux populaires. Il faut passer de la quantité à la qualité : alimentation bio deux fois par mois, circuits courts, c’est possible à coût constant si l’argent est géré de manière efficace. Et puis, il y a l’éco-quartier fluvial (premier coup de pioche en 2011), qui revitalisera les anciens sites des entrepôts avec des logements, de l’activité économique (1000 emplois espérés), des équipements. On utilisera le fleuve pour les transports et les loisirs. Mais on fait tout cela sans exclure personne : 50% des logements seront en logements sociaux ou en accès à la propriété, pour que les habitants passent du HLM au privé. L’écologie ce n’est pas pour les riches : on veut que cela dynamise la réhabilitation de 500 logements dans des cités voisines, notamment en matière d’isolation. Notre génération doit tout faire pour réparer dix générations de productivisme, mais on ne doit pas se couper des anciens quartiers qui ont subi cela.

Propos recueillis par E.R.

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