Kizo, combattant de la paix sociale

Grigny, médiateur social, Kizo
Le 26-09-2014
Par Anabelle Gentez / CFPJ

Kizo est médiateur social à Grigny, dans l’Essonne. Au cœur des quartiers de la Grande Borne et Grigny 2, régulièrement classés parmi les plus sensibles de France, il tente de remettre les jeunes les plus récalcitrants à l’autorité sur le droit chemin. Sa méthode ? Des entraînements intensifs de plein air, les No Joke Training.

 

Il a le physique d’un molosse et le sourire d’un enfant. Kizo, médiateur social à Grigny, a en effet de quoi impressionner. Ses 100 kilos de muscles remplissent le moindre centimètre d’un tee-shirt qui semble prêt à craquer. Sa démarche, assurée, laisse vite comprendre que le garçon n’est pas facile à déstabiliser. Utile, peut-être même essentiel, quand on parcourt chaque jour les allées labyrinthiques de la Grande Borne pour aller à la rencontre des jeunes les plus difficiles.

Avec Kizo, ça ne rigole pas. C’est d’ailleurs dans l’ADN des entrainements de rue qu’il a créé, les No Joke Training ("entrainement sans blague" en français). Tenue de jogging et tee-shirt blanc obligatoire, silence total pendant les exercices,  respect absolu des consignes. « C’est une discipline quasi-militaire, explique t-il avec sérieux, mais en gardant toujours le sourire. Des méthodes de renforcement musculaire et mental sont combinées avec des techniques de combat inspirées des arts martiaux.  S’ils viennent, c’est parce qu’ils le souhaitent, je ne les force pas. Dès que l’un d’eux enfreint la discipline, je lui demande de se mettre sur le coté. »

Ce sport, dont le trentenaire a inventé les exercices et dont il a même déposé la marque, est pour lui une solution à la délinquance des jeunes. Souvent comparé au Street Work Out, mouvement de gymnastique de rue né aux Etats-Unis, le No Joke se distingue par sa portée sociale. « En s’entraînant, on apprend les règles. On apprend à se lever le matin, on apprend à endurer. Peut-être que cela les aidera plus tard quand il faudra qu’ils aillent travailler. »

 

Une rage conditionnée par la peur de l’autre

Kizo a été embauché par la mairie de Grigny en 2009, dans un contexte particulièrement tendu entre les différents quartiers de la ville. Pour calmer les tensions et grâce à l’autorité qu’il dégage, il fait s’entraîner ensemble des jeunes de bandes rivales. « Ils devaient s’entraider, tenir un sac pour l’autre, faire des exercices ensemble. Certains ont tellement détesté qu’ils ont arrêté de se battre pour ne pas avoir à recommencer !, s’amuse t-il.  Mais d’autres ont choisi de continuer les entrainements et ont réussi à dépasser leur rivalité par le sport. »

Encouragé dans son action par la municipalité, il met ensuite en place des entraînements réguliers avec les jeunes au parc Coteau Vlaminck, à Grigny 2. « Le No Joke est une méthode spécifiquement adaptée aux jeunes que Kizo côtoient, explique ainsi Frédéric Manceau, directeur prevention-sécurité-hygiène à la mairie de Grigny. C’est un moyen de se trouver au contact d’un public très éloigné des règles. »

En suivant Kizo dans le dédale des immeubles bas et longs de la Grande Borne, on rencontre Roms, 22 ans, qui fait partie de ces jeunes que Kizo a aidé. Il a suivi des entrainements avec le médiateur alors qu’il était un ado difficile, engagé dans une bande violente. « Avant, j’avais la rage, mais je ne comprenais pas pourquoi. Avec ma bande on se battait souvent, on n’aimait pas les gens qu’on ne connaissait pas. Le No Joke, ça m’a appris à canaliser ma colère, mais ça m’a surtout appris à fermer ma bouche. » Kizo voit dans cette violence les conséquences d’un enfermement psychologique. « Ici, c’est une prison à ciel ouvert. Ca peut paraître bizarre, mais les jeunes ont peur de sortir. Dehors, ils risquent de tomber sur d’autres bandes et de se battre, de se faire contrôler par la police, ou par les agents RATP. Donc ils vivent en huis clos et si tu restes enfermé, tu deviens fou. »

 

 

Des jeunes privés de travail

La révélation du sport comme catharsis à la violence, Kizo l’a eue lorsqu’il était pion au collège de Grigny. « Je me souviens avoir vu un gamin taper du poing contre le mur jusqu’à s’en faire saigner, et c’est ça qui m’a donné l’idée d’organiser des séances de sport en extérieur où il pourrait se défouler. J’ai d’abord commencé dans les bois avec un groupe, mais très vite, il y a eu trop d’enfants et j’ai eu besoin d’aide. » C’est là qu’est intervenu Karim, plus connu sous le nom de Baron. Aujourd’hui professeur de boxe, cet autre « grand frère » charismatique de Grigny a aidé Kizo à donner des entrainements.  «  On leur transmet des valeurs essentielles à travers le sport : la solidarité, le respect pour l’autorité, l’autonomie et puis l’hygiène de vie.  Quand le physique va mieux, le mental suit. »

Sur les causes de cette délinquance juvénile, les deux amis tiennent sensiblement le même discours. « Ils sont dans une posture d’imitation, explique Karim. Ils reproduisent ce qu’ils voient des gars de banlieue à la télévision, c’est le serpent qui se mord la queue. Mais pour la plupart, leur pseudo rage, c’est de la fioriture. » Pour autant les problèmes sont réels, la misère sociale palpable. « Ici il y a tout ce qu’il faut. Des MJC, des bibliothèques, des magasins… Ce qu’il manque à ces jeunes c’est ce qu’il manque à tous les jeunes en France : du travail. Et ça, ce n’est pas mon problème, je ne peux rien y faire ! Il est où François Hollande ? »

 

Une force positive

Savoir se défendre dans un univers hostile, c’est une nécessité dont Kizo a très tôt pris conscience. Petit, il a vu un mec se faire poignarder au milieu de la cité sans que cela ne le choque outre mesure, parce que c’était « presque normal ». Et puis au lycée, c’est en voyant un sabre tomber du sac d’un de ses camarades qu’il a eu le déclic. « Là j’ai compris que j’avais intérêt à savoir riposter ! » Alors il commence la musculation et développe une impressionnante carrure.

Mais le Grignois d’origine congolaise n’a jamais versé dans la grande délinquance, comme le raconte Moukoussé, qui l’a connu au collège. «  Kizo a toujours eu un esprit positif. Il ne traînait pas tard le soir, il était posé. Pas facile à ”engrainer” ! C’est un gars qui a le cœur sur la main, toujours disponible pour les autres. » Moukoussé, qui a fait des années de prison, dirige maintenant une antenne No Joke à Dourdan, dans le sud Essonne. «  Sans le No Joke, ce serait vraiment compliqué pour moi. Je m’en suis sorti en partie grâce à ça. Le fait de transpirer, ça canalise mon énergie. Aujourd’hui je suis un père de famille rangé, je vis dans la légalité. »

 

 

Lutter contre les préjugés, sans arrêt 

Le combat contre l’ostracisme et la peur de l’autre, c’est ce qui porte chaque jour le médiateur. « Je veux montrer qu’il y a aussi de la solidarité dans les quartiers et plein de choses bien s’y passent, contrairement à ceux qui pensent qu’il faut y passer le Kärcher et montent les gens les uns contre les autres. Les médias se focalisent sur la minorité visible, en gros les noirs et les arabes, mais on ne voit jamais les autres délinquants. Et puis les jeunes ne font que reproduire ce que les Français de souche ont toujours fait avec les blousons noirs ou les blousons dorés. Ils perpétuent la tradition ! »

Le gamin de la Grande Borne sait de quoi il parle, car il a écrit un livre et produit un documentaire sur l’histoire des gangs en France. « Tu te rends compte ? Moi j’étais nul à l’école, au collège j’étais en classe Segpa. Et j’ai réussi à faire tout ça. »  Cette année, il s’est rendu dans une favela à Rio, afin de créer une autre antenne No Joke, et il espère bientôt « investir l’Afrique ». Pour autant, jamais aucune arrogance ne traverse le regard de Kizo. Le jeune homme tient à rester humble, à ne pas se mettre en avant. Un peu de fierté quand même ? « Bien sûr que je suis fier, surtout quand je vois un enfant sourire. C’est ma façon à moi de faire de la politique. »

 

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