Humanity in action : la nouveauté du community organizing

Le 06-12-2012
Par Charly Célinain

Pour comprendre la complexité des questions liées à la diversité à notre époque, l'association Humanity in action opte pour un décryptage historique, comparatif. L'association ne se limite pas au constat, elle apporte une méthodologie d'action importée des Etats-Unis. 

 
C'est en 2005 que Patrick Weil, éminent historien de l'immigration, Philippe Manière, ancien directeur de l'institut Montaigne, et Amaya Bloch Lainé, consultante, créent l'association Humanity in action France (HIA). Que du beau monde. Objectif : former une nouvelle génération de jeunes sur les questions liées à la diversité selon trois axes : histoire, comparaison et action. Partant du principe qu'on ne peut pas comprendre les enjeux d'un pays sans regarder son histoire, HIA propose une méthodologie historique comparative tournée vers l'action. Plus récemment, l'association a intégré à son programme le community organizing, méthode d'action popularisée depuis la première campagne victorieuse de Barack Obama. 
 

Programme d'été

Cette vision des choses s'applique à des questions très concrètes : « Par exemple, pourquoi de nombreux français ont une telle réticence par rapport aux statistiques ethniques ? Parce que, pour beaucoup d'entre eux, elles sont liées au drame de la Shoah et le fait de pouvoir distinguer qui appartient à quelle minorité », explique Laurène Bounaud, directrice HIA. Donc dès 2006, l'association met en place un programme d'été avec dix français et dix américains, tous recrutés sur dossier, et s'intéressant aux questions de diversité. Pendant un mois, ils assistent à des cours dispensés par une cinquantaine d'intervenants : « Ce ne sont pas des cours à la française où le prof parle et les élèves écoutent, prévient Laurène. Chaque intervention dure 45 minutes suivie de 45 minutes de questions-réponses. C'est plus enrichissant et pour l'intervenant c'est plus stimulant aussi. » Une méthode d'enseignement tournée vers l'outre-atlantique, puisque c'est ainsi que fonctionnent les universités américaines. Pendant un peu plus de deux semaines, les historiens, sociologues, acteurs institutionnels, viennent partager leur savoir. Mais aussi des acteurs de terrain comme Rokhaya Diallo ou Eros Sana, la réalité de terrain est centrale dans cette formation. Depuis 2010, la dernière semaine du programme est dédiée à la méthode du community organizing.
 

La révélation états-unienne

C'est Tara Dickman, ex-directrice nationale HIA (2007-2012), qui a eu l'idée d'apporter le community organizing au programme. En février 2010, après avoir rencontré le tout premier directeur de campagne d'Obama, Will Burns, la jeune femme se voit proposer un voyage à Chicago : « Avec Ladji Réal, Nassurdine Haidari, Leyla Arslan, Reda Didi, nous sommes partis pour deux semaines de training en community organizing.  Là-bas, on a reçu une formation qui était tellement profonde ! On ne peut pas juste en lire les notes, il faut la vivre ! Et là tout s'est mis en place dans ma tête, j'ai compris comment on pouvait faire bouger les choses en France. » Ce fut comme une révélation, une solution parfaite pour les minorités : « la question était de savoir comment peser. Moi, ce que j'ai vu en community organising là-bas, en faisant du porte à porte, en apprenant la méthodologie etc... c'est comment notre génération, qui est minoritaire, qui n'a pas les mêmes outils, la même histoire que la génération précédente, peut imposer ses problématiques sur l'agenda politique. » Tara n'a pas tardé à partager ce quelle avait appris aux Etats-Unis en mettant en place dès juin 2010 une semaine d'introduction au community organizing dans le programme HIA. 
 

La méthode

« Il y a tout un travail autour de la notion de pouvoir. C'est un verbe et un outil. Soit tu l'as, soit quelqu'un d'autre l'a. Si tu n'assumes pas le fait de vouloir pouvoir changer les choses, tu ne pourras pas changer quoi que ce soit. » Autre notion importante, le self interest : « ce n'est pas la notion d'intérêt particulier, mais ce qui t'anime. On fait un exercice pour découvrir ton self interest, en revenant sur chaque grosse décision que t'as prise dans ta vie. » Le community organizer a besoin de connaître les « intérêts » des personnes avec qui il va travailler, ce qu'il obtient par le biais de porte à porte, d'entretiens... Pour Tara Dickman, ce qui est également important, c'est le fait que chacun trouve sa place : « Et contrairement à certains mouvements de quartiers où tu n'as que des leaders, donc où tu as des problèmes de confiance, des problèmes d'égo, des problèmes de travail, en organizing, tu as donc des organizers, qui sont comme des "coordinateurs de campagne", et des leaders. L'organizer est dans l'ombre, il sait repérer des leaders, il sait trouver des intérêts. Il identifie les bonnes personnes pour les bonnes causes. » 
  

La mise en pratique

Dans l'année qui suit la participation au programme, les participants prennent l'engagement de mettre en place un projet de terrain sur un sujet qui les intéresse. Tara garde un œil sur les anciens participants : « Un de nos « fellows », Bocar Niane, a organisé le Grenelle des quartiers populaires puis l'Appel des 577 avec Ousmane Timéra; d'ailleurs j'ai aussi fait une formation en community organizing pour Cité en mouvement, leur association. » Elle poursuit : « Jamais le réseau d'anciens de HIA n'a été aussi actif que depuis que l'on fait ces formations là !» 
 

Stop le contrôle au faciès

Pour Tara, un des exemples les plus parlants, et qui a le plus fait parler, reste le collectif Stop le contrôle au faciès (dont font partie notamment le Collectif Antinégrophobie, Les Indivisibles, Nordside...) porté, entre autres, par le réalisateur Ladji Real, qui a fait le voyage à Chicago avec elle, et Nabil Berbour, ancien HIA qui s'occupe de la coordination. « Réussir un petit objectif, ça donne une victoire, et les victoires donnent du pouvoir. La première victoire a été le lancement de la web série, sans argent mais avec de nombreux rappeurs connus. Grâce à l'abnégation et la volonté de Ladji qui a pratiquement tout fait tout seul. Résultat : 38 000 vues en 24H, toute la presse en a parlé.  Deuxième victoire, l'action en justice contre l'Etat avec le concours de la fondation Open Society Justice Initiative. Le collectif a réussi à poser la problématique sur l'agenda politique. En juin, Jean-Marc Ayrault disait qu'une loi était en route, puis le Défenseur des droits devait faire un rapport. Malheureusement, par la suite, ils ont rencontré un obstacle : Manuel Valls. Malgré tout, l'aventure continue avec une deuxième série de vidéos et le contrôle au faciès est devenu un vrai sujet de société. De plus, au niveau juridique, les victimes ont un endroit où aller ! »
 

L'avenir

L'association est en plein développement, les ateliers se multiplient, mais pour Laurène Bounaud, il reste encore du chemin à faire, notamment concernant les profils des participants : « Beaucoup de gens de Sciences po postulent chaque année. Est-ce que c'est parce que l'information est mieux diffusée dans les IEP, qu'ils voient tout de suite le coté international, les opportunités de stages ? Est-ce que certains se disent qu'ils n'ont pas un niveau d'anglais suffisant, je ne sais pas… Suite à cette réflexion, on a fait une nouvelle campagne d'appel à candidature, un peu plus centrée sur les sujets qu'on aborde, et qu'on diffuse un peu partout, dans les écoles d'infirmières, à la fac, dans des maisons de quartier à Saint-Ouen, l'université de Saint-Denis, Paris VIII, la Sorbonne, on essaie de balayer large... ». 
 
Avec 80 anciens de HIA en France, on pourrait se dire que ce n'est pas demain la veille que les problèmes liés à la diversité seront réglés. L'association a quand même réussi à former des jeunes qui font bouger les lignes, dans un paysage militant dévasté dans les quartiers. Donc, sait-on jamais, « réussir un petit objectif, ça donne une victoire... »
 
 

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...