Histoire de gangs : des ghettos de L.A. aux banlieues de Paris

Le 17-01-2013
Par Charly Célinain

Le club de lecture Read ! organise chaque mois la projection d'un film afro-américain suivie d'un débat. Le 16 janvier, il s'agissait de Menace II Society. Sujet : la vie des jeunes Noirs dans les ghettos de Los Angeles. Des acteurs de terrain et associatifs étaient invités à en débattre. Apologie de la violence ? Témoignage d'une jeunesse en détresse ? Comment le public français a-t-il reçu ce film ?

 
« En Français ! Pas de sous-titres ! On ne sait pas lire nous ! » hurle une voix du fin fond de la salle du centre d'animation Curial, quartier Flandre, Paris 19. L'ambiance est plutôt bon enfant juste avant le début de la projection de Menace II Society, film coup de poing des frères Hughes, réalisé en 1994. Âgés d'à peine 21 ans, les deux frères montrent sans détour la vie des jeunes dans les quartiers chauds de Los Angeles. Flingues, femmes, fêtes et litres de sang sont au programme de ce classique de la culture Hip Hop aux États-Unis, mais aussi en France, notamment auprès de spectateurs qui ont aujourd'hui entre 30 et 40 ans. Tranche d'âge dans laquelle se situent, plus ou moins, les intervenants invités à débattre du film : Kizo (ancien « membre de bande » et co-auteur d’un documentaire et d’un livre de photos, « Gang story »), les militants associatifs Silly Diakité et Almamy Kanouté, ainsi que Mara Kanté (auteur de « Préjugé Coupable »). 
 
La mémoire donne une confiance identitaire.
 

Perception d'hier et d'aujourd'hui

« Jeans au raz des fesses, flingues tenus de manière horizontale, ça nous parlait » lance direct Kizo, en mimant la façon de tenir l'arme. Même souvenir enthousiaste de son enfance pour Mara Kanté : « Je ne voyais pas le négatif. Je voyais surtout les armes, la fête, le côté on est dans la merde, on le revendique et basta ». Ce n’est que dans un second temps qu’il réfléchit au message général du film : « En France et aux États-Unis, le contexte social est le même, sauf que là-bas il y a les armes. » Misère sociale, jeunes en manque de repères… Dans le public, une spectatrice (éducatrice) note judicieusement : « Les jeunes manquent de repères identitaires. Il n'y a pas de mémoire, ils sont emportés dans une grande acculturation. La mémoire donne une confiance identitaire. » Des repères, Almamy Kanouté, militant associatif et éducateur, en a eu, ce qui l'a certainement empêché de sombrer : « J'ai fait des conneries quand j'étais jeune mais j'ai été préservé par les grands du quartier et mes parents. A chaque fois que je rentrais, ma mère vérifiait que j'avais bien des baskets qui étaient à moi, vêtements qui étaient à moi…J'étais bien encadré. »
 
Les seules personnes que je vois et qui nous ressemblent sont des danseurs ou des chanteurs.

Plus de « Sharif »

Le succès du film tient aussi au fait que ces jeunes français voyaient à l'époque des personnes qui leur ressemblaient, qui écoutaient la même musique... Dans le paysage audiovisuel français, ce n'était pas forcément le cas au début des années 90, comme le rappelle Almamy Kanouté : « A 10-12 ans j'aurais kiffé voir Mara ou Silly à la télé ! Jusqu'ici, les seules personnes que je vois et qui nous ressemblent sont des danseurs ou des chanteurs. Les rares personnes qui nous représentent « de l'autre côté du périph » deviennent amnésiques, ne savent plus d'où elles viennent ». Même si la situation audiovisuelle des minorités a un peu évolué, les jeunes sont toujours en manque de modèles. « Pourquoi n'y a-t-il pas plus de « Sharifs » dans les quartiers ? » questionne Laurie Pezeron, animatrice de la rencontre, en faisant référence à un personnage du film converti à l'Islam et qui fait la morale à ses amis dealers et meurtriers. Kizo lui répond : « On avait des Sharifs, mais quand je me retrouvais face à des mecs qui sortaient des armes, je sortais des armes... »
 
Je n'avais qu'une idée en tête : sortir et niquer le système

Prise de conscience

Pour sortir de ce cercle vicieux, on peut toujours espérer une prise de conscience, comme ça a été le cas pour Mara : « J'étais entre foot et quartier. Comme Caine, entre action et conscience. A 20 ans, j'ai été injustement en détention à Fresnes. Ma promenade faisait 15 pas en longueur et 30 en largeur. Je n'avais qu'une idée en tête : sortir et niquer le système, comme Dog [personnage de Menace II society, NDLR]. Puis un détenu m'a donné un livre de Roger Mac Gowen, Message de vie du couloir de la mort. Ce livre a complètement changé ma compréhension des choses, de l'enfermement. Je voyais les choses plus positivement. » Évidemment, de telles prises de conscience restent minoritaires…
 
Certains jeunes veulent jouer les bonhommes, mais on connaît les codes pour leur parler. Ils ont juste besoin d'être secoués !

Des associations sans moyens

L'action des associations sur le terrain semble déterminante pour structurer ces jeunes, à en croire les intervenants. Bien souvent, les membres d'associations sont issus des quartiers où ils évoluent et possèdent donc les codes. Almamy Kanouté, éducateur à Fresnes, nous le confirme : « Certains jeunes veulent jouer les bonhommes, mais on connaît les codes pour leur parler. Ils ont juste besoin d'être secoués ! » Les associations, c'est bien beau, encore faut-il qu'elles puissent travailler dans de bonnes conditions. C'est Kizo qui jette la première pierre : « Les associations n'ont pas de moyens. C'est politique ! » le mot est lâché ! Dans la salle, Bouba, habitant de Grigny, est plus précis : « Si les maires se battent pour être placés en zone sensible, c'est pour les subventions. La précarité génère du profit ! Je ne dis pas qu'il y a un complot, je dis simplement que tout ça, c'est de la mise en scène. ». 
 
Pour faire avancer les causes il faut des sacrifiés
La mise en scène d'un drame urbain qui nous rapproche de Menace II Society, tourné il y a vingt ans, à près de 10 000 kilomètres de nos banlieues. Pendant le débat, Mara Kanté jetait, en pensant à lui : « Pour faire avancer les causes il faut des sacrifiés ». Que ce soit à Los Angeles ou Paris, on ne peut que constater que c'est la jeunesse des quartiers pauvres qui est sacrifiée...
 
 
 
 

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