
Gilles Kepel à la rencontre des lycéens de Bondy

C’était un petit évènement au lycée Jean-Renoir de Bondy. Des classes de Terminal ont été conviées à rencontrer Gilles Kepel venu présenter, une semaine avant sa sortie, son enquête « Banlieues de la République ». Des thématiques qui passionnent des élèves, alors que le terrorisme de revendication salafiste ne faisait pas encore la Une…
L’ambiance est studieuse, ce jeudi 26 janvier à la salle polyvalente du lycée. Les élèves ne pipent mot et sortent les carnets de notes pendant que Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam et professeur à Sciences Politiques s’installe. « Mon livre ne sera disponible que dans une semaine, mais je tenais à venir vous voir ici » a lancé en guise d’introduction Gilles Kepel aux élèves dont une partie prépare le concours d’entrée à Sciences Po.
Des dossiers de presse sur l’islam et les révolutions arabes
« Nous tenions à le recevoir car c’est un grand spécialiste de l’Islam et de la banlieue. Nous avons des élèves qui se préparent à intégrer cette école. La plupart d’entre eux étudie la question de l’Islam et des révolutions arabes dans le cadre de leur dossier de presse en vue de l’admission aux concours de Sciences Po » explique de son côté Fernand Nasari, l’enthousiaste proviseur du lycée. Depuis la mise en place de l’atelier de préparation aux concours de Sciences Po en 2003, 25 élèves de Jean-Renoir ont intégré la prestigieuse école. « Banlieues de la République » est le résultat de l’enquête dirigée par Gilles Kepel dans les villes de Clichy-sous-Bois et Montfermeil. De larges extraits de cette étude commandée par l’Institut Montaigne ont été publiés dans la presse sans passer inaperçus… D’après l’équipe de chercheurs, l’islam et les mosquées remplaceraient la République dans ces territoires oubliés. Pourtant, le chercheur ne développera pas la question de l’Islam. « Sur le terrain, nous avons traité des grands sujets qui animent les populations de banlieue. L’habitat et la question de la représentation politique sont très importants par exemple… Sans oublier celle de la sécurité qui inquiète beaucoup les habitants ».
"Qu’est-ce que le salafisme, au juste ? »
Aux côtés du professeur s’installe un de ses anciens élèves, Mohamed-Ali Adraoui dont le propos a particulièrement intéressé les élèves. Le jeune sociologue fait partie de l’équipe d’enquêteurs de Clichy-sous-Bois. « Je suis particulièrement content d’être ici car j’ai moi-même fait Sciences Po et j’ai grandi dans une ville de la Haute-Normandie, non loin de Mantes-la-Jolie, et qui s’est malheureusement fait connaître pour des faits de délinquances … Donc je vous encourage à travailler pour réussir. Le plus important est d’être curieux, curieux de tout ! » lance-t-il à une salle conquise. Une fois la parole distribuée dans la salle, les élèves sont intimidés. C’est le sujet de l’Islam qui délie peu à peu les langues. « Je voudrai savoir qu’est-ce que le salafisme au juste.. ? On en parle beaucoup mais quelle est la définition pour vous » demande Nacima de Terminal L profitant de la présence de Mohamed-Ali Adraoui, spécialiste de la question. « Une question complexe… répond le jeune chercheur. C’est un courant de l’islam qui considère que plus on remonte dans le temps, et plus on est proche de la norme de l’islam. Qui de meilleurs musulmans que les premiers musulmans ? C’est la théorie des salafistes qui consiste à ressembler le plus possible aux compagnons du prophète. Certains d’entre eux pensent que la politique corrompt, qu’il faut être dans la pure transcendance et donc se couper de la société ».
Le cas des révolutions arabes
L’autre grand thème qui intéresse les élèves, ce sont les révolutions arabes. «Pensez-vous que les islamistes sont un frein à la démocratie ? » demande Victoria, en Terminal ES, à Gilles Kepel qui a expliqué s’être rendu deux fois en Tunisie après les élections. « En Tunisie, les journalistes demandaient systématiquement à Rached Ghannouchi, le patron d’Enahda, si l’alcool allait être interdit et le voile imposé aux femmes… Lui répondait que la démocratie interdisait d’imposer les pratiques religieuses, qu’il s’agit là de la liberté individuelle de chacun. Mais en même temps, des étudiants faisaient la grève pour permettre aux filles en niqab (voile intégral) de passer les examens… Et dans la rue, j’ai rencontré un homme qui m’a dit avoir voté Ennahda pour que les femmes se voilent… raconte Gilles Kepel. Rien n’est simple mais je pense qu’Ennahda est en train de faire l’exercice du pouvoir. La politique économique est désastreuse, il a besoin du tourisme et des classes moyennes, qui consomment pour la plupart de l’alcool. Sans cela, le pays sera bloqué ».
Après la conférence, les élèves, tout sourire, posent pour une photo avec le chercheur. « Nous sommes ravis et fiers de cet échange » se réjouit le proviseur Fernand Nasari qui « n’est pas à Bondy par hasard ». « J’ai la chance d’être entouré de professeurs investis et engagés pour leurs élèves. II est très important pour nous d’aider nos jeunes à réussir notamment en intégrant Sciences Po ». La conférence est un tel succès que Gilles Kepel a déjà accepté de revenir au lycée Jean-Renoir, probablement au mois d’avril. Le sujet est déjà arrêté : « Révolutions arabes : religion et démocratie ». Reste à convenir d’une date.
Mérième Alaoui