Gérard Mauger : « Ces émeutes n’ont pas su s’inscrire dans un registre politique »

Gérard Mauger
Le 02-11-2015
Par Erwan Ruty

Le sociologue de la jeunesse et de la délinquance Gérard Mauger, directeur de recherche au Cnrs que l’on classera dans la filiation de Pierre Bourdieu, n’est pas du genre à prendre ses désirs pour des réalités. Il le regrette, mais les événements de novembre 2005 sont des émeutes, pas des révoltes. On joue sur les mots ? Non. On assume l’impasse politique dans laquelle ce mouvement s’est retrouvé.

 

P&C : Le titre de votre livre paru en 2006, « L’émeute de novembre 2005, une révolte protopolitique » est une prise de position sur la manière dont on doit comprendre ces événements.
G.M. :
Oui, c’est une révolte d’avant les révoltes politiques. Ces émeutes s’inscrivent dans l’histoire des révoltes populaires françaises. Elles font penser aux émeutes paysannes frumentaires des 17ème ou 18ème siècle, qui ne parlent pas : il y a un silence des émeutiers sur eux-mêmes, ils sont sans discours.
 

P&C : Pourtant, les interprétations n’ont pas manqué alors…
G.M. :
Oui, c’est ce que j’appelle « l’émeute de papier ». Une lutte entre interprétations, opposant les tenants d’une vision apolitique de l’émeute (Sarkozy et le gouvernement), et les autres thèses lui prêtant un caractère politique émergent : une vision néomarxiste basée sur la place que les émeutiers occuperaient dans le monde du travail, comme avant-garde du précariat, une vision spatiale (vision partagée par le sociologue Jacques Donzelot : révolte urbaine des ghettos), et une vision ethnique (celle des Indigènes de la République). Mais il y avait beaucoup de très jeunes, pas encore dans le monde du travail pour la plupart. C’était peut-être de futurs précaires, mais pas de l’avant-garde du précariat… Ce n’était pas non plus une émeute du « ghetto » contre le « centre », l’émeute s’est cantonnée aux quartiers. Et les émeutiers étaient très inter-ethinique… L’indignation morale était sans doute la matrice, fondatrice. Deux jeunes enfants, qui en plus se font insulter par les autorités ! Il y a surtout eu un aspect anti-policier, la police étant l’ennemi de base.
 

P&C : Pourquoi est-ce que cette émeute n’a pas été une révolte ?
G.M. :
Il n’y a plus je Jeunesse communiste dans le coin ! La Jc, ça disait quelque chose aux loubards des années 70 ! Ils avaient des parents, des amis qui y étaient ! On recommence à la case départ en 2005 avec des gens sans tradition politique telle qu’on la connaît en France. La désertion syndicale et politique des banlieues fait qu’ils étaient hors cadre. Les émeutiers n’ont pas trouvé le début d’un relais dans les partis ou les syndicats. Des formes d’encadrement sont à reconstruire. On pouvait entrevoir une forme d’encadrement par des organisations comme AC ! Lefeu. Mais cela n’a pas marché. La thèse ethnique qui était alors fausse, s’est quelque peu renforcée, mais plutôt avec le prisme religieux.
 

P&C : Les religieux seraient les seuls à avoir réussi à encadrer une partie de la jeunesse ?
G.M. :
Oui, il semble que les politiques se soient fait doubler par les religieux. Il faut voir quel est l’état du champ politique dans les banlieues ! Ni le Pcf ni le Ps ne sont susceptibles de soutenir une telle démarche émeutière ! Et les porte-parole locaux des banlieues n’ont jamais été accueillis dans les partis dans les années 90. Seul le Npa a essayé, avant de redevenir une secte ! L’offre religieuse a été la seule à offrir une réhabilitation politique, symbolique, pour les jeunes d’alors. Les religieux, comme avant eux le Pcf, étaient les seuls capables d’intégrer tout ce qui ressemble de près ou de loin à un jeune de banlieue. C’est une forme d’organisation aujourd’hui plus solide que le Pcf, y compris financièrement ! En plus, cette offre est ouverte, facile d’accès, et elle propose souvent une vision du monde et des raisons de l’échec assez simple : si vous ne réussissez pas, c’est parce qu’il y a des racistes. Mais cette offre religieuse contient une forme de politique.
 

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