
François Hollande : quelle réponse au trop plein d’identité ?

Lorsqu’un corps est constamment soumis, à doses homéopathiques, à un poison d’ordinaire létal, il développe une accoutumance qui lui permet de s’habituer au mal et même d’éprouver des manques au moindre sevrage. Le corps social semble parfois fonctionner selon cette règle biologique lorsqu’on lui administre la potion identitaire dont s’enivrent les politiques.
Les années 2000 ont agi comme un catalyseur sur les mémoires et les représentations d’une France qui comme soumise à un curieux cycle d’introspection, revisite son passé et pose la lancinante question de son identité. La médiatisation auprès d’un large public des tortures et exactions en période coloniale, les révoltes de 2005 dans les quartiers populaires, les accusations de complicité dans le génocide des Tutsis et l’émergence pour la première fois dans le débat public d’une parole critique issue des marges sur le modèle républicain considéré comme en faillite, aura à coup sûr ébranlé des convictions forgées dans le sillage du roman national associant pêle-mêle l’esprit frondeur de Vercingétorix, la Galerie des glaces du palais de Versailles, Valmy, les hussards noirs de Péguy, la lutte pour le capitaine Dreyfus ou les sacrifices de la Libération.
La lente émergence d'un nouveau récit national issu des marges
Ceux qui étaient des peuplades à civiliser au siècle dernier, qui rasaient les murs dans la France du Général ou qui se faisaient ratonner dans les années 70, se découvrent par la voix de leurs filles et de leurs fils devenus Français, d’inhabituels hérauts prompts à interroger l’Hexagone et à guetter ou provoquer les signes ostensibles d’une reconnaissance qui aurait été comme une réconciliation sinon le signal que la République est enfin prête à assumer plusieurs récits ; d’autres discours sur ce qu’être Français veut dire. Ce combat, car il s’agit d’un combat, tente de gagner sa visibilité médiatique en dehors du web ; sur France Ô, aux confins des grilles de programmation, sur quelques médias acquis à la cause et par effraction de temps à autres lors des grands rendez-vous télévisés fédérant encore en millions. Il s’incarne aussi par des figures encore montantes mais désormais incontournables comme Mohamed Mechmache, Pascal Blanchard, Nordine Nabili ou Rokhaya Diallo. Les banlieues et les combats pour leur reconnaissance ont désormais droit de cité autrement que par les rappeurs, les sportifs ou… SOS Racisme.
Le retour de la parole identitaire
A ces percées encore fébriles reprises timidement par quelques personnalités politiques, répondent les anathèmes et procès d’intention qui se sont engouffrés dans ce boulevard né des attentats du 11 septembre 2001. Le choc de civilisation de Huntington est devenu une guerre franco-française et elle semble prendre des chemins pour le moins inattendus. Aux explications racistes de l’extrême droite s’est substituée une critique parée d’attributs républicains et désormais acceptée dans l’espace public et médiatique sans que le Front National en soit le seul promoteur. Atteintes à la laïcité, menace communautariste, rupture territoriale, crise de la culture et de l’éducation, menace sur la condition des femmes… Il est loin le temps où Fernand Raynaud résumait le problème par le risible « j’aime pas les étrangers, ils mangent le pain des Français ». Feutrée ou explicite, outrancière ou politiquement correcte, érudite ou indigente, cette nouvelle critique des banlieues et de leurs habitants empruntent des discours convoquant désormais la géographie, la sociologie et même la théologie. Cette critique savante qui transforme le chercheur en pamphlétaire, le philosophe en bête de foire pour talk shows et l’éditorialiste en accusateur public, semble répondre comme un miroir aux déchaînements racistes ou antisémites qui sur le web couronnent les humoristes dévoyés et les nostalgiques d’une France expurgée de ses héritages étrangers.
Un nouveau consensus... qui est une drogue
Ce nouveau discours critique, Ovni idéologique qui agrège les arguments, macère les appartenances politiques et produit parfois d’authentiques grognements d’hommes blancs (tels celui commis récemment par Eric Zemmour), agit comme un rouleau compresseur qui balaie les nuances, généralise à outrance et se répand tant à droite qu’à gauche. Ainsi, Harlem Désir, ancien pote, ancien patron du PS et désormais ministre, comprend désormais l’indignation de Nadine Morano face à une femme voilée. Manuel Valls n’a-t-il pas établi une incompatibilité entre le mode de vie des Roms et la France et récemment diagnostiqué un nouvel antisémitisme made in banlieue ?
Il y a à l’œuvre comme un consensus inavouable venant écraser les quelques avancées qui pouvaient laisser espérer que l’avenir de la devise « Liberté, égalité, fraternité » se régénèrerait à l’épreuve des banlieues. Le corps social semble même s’accoutumer à cette drogue dure au point qu’il développe une présomption de culpabilité pour tous ceux qui se rattachent à la banlieue. Dans un pays où le roman national s’écrit par le haut, on s’interroge sur la passivité de François Hollande, incapable de prendre position contre ce discours rance justifiant les volontés de sécession, et les écarts de ses ministres. C’est là une ultime capitulation, peut-être la plus grave, car elle n’a de justification que le renoncement au courage.