Football : Et si la France avait besoin de « l’esprit de quartier » ? - Ressources Urbaines

Le 08-07-2010
Par xadmin

Une cohorte de penseurs médiatiques, plus prompts à courir les plateaux télés que les MJC, squattent les antennes pour livrer leur verdict, tranchant, définitif : l’esprit de cité aurait, selon eux, gangrené notre belle équipe de France de foot. S’il n’est pas question de remettre en cause leur connaissance, probablement très pointue, du sport de haut niveau comme de la vie dans les quartiers populaires, on va tout de même s’autoriser à entendre un autre son de cloches. Et si c’était le fonctionnement et l’esprit des clubs de la Fédération Française de Foot, sur la sellette depuis le Mondial en Afrique du Sud, qui pervertissait la jeunesse de nos quartiers ? Entretien avec Vincent L., 29 ans, qui alterne entre deux maillots : ceux de policier et d’éducateur dans un club de banlieue parisienne*.


Ressources Urbaines : Comment avez-vous débuté dans le football ?
Vincent
: Dans le quartier. A Noisy, Bagnolet… Quand je vivais sur Paris, ma famille a déménagé une quinzaine de fois ! Bref, c’était du foot dans la rue, entre amis. Mais j’ai tout de suite eu une mauvaise appréhension du foot en club et de la Fédération Française de Football (FFF). Mon petit frère avait commencé jeune, en club. Il avait connu des soucis… Ça m’avait un peu bloqué. Nous sommes ensuite allés vivre près de Bordeaux.

- Et comment êtes-vous devenu éducateur ?
C’est en Gironde que j’ai passé mes diplômes. J’avais 17 ans, et j’entraînais l’école de foot, des gamins de 7, 8 ans, tout en jouant dans l’équipe seniors. Mais quand je suis revenu en région parisienne, j’avais toujours cette appréhension par rapport à la pratique du foot en club. Je me sentais mal à l’aise. J’ai préféré définitivement me positionner comme éducateur.

- D’où venait ce ressenti ?
Dans un club de la FFF, c’est avant tout l’esprit de compétition. Le but, c’est de prendre la place d’untel ou d’untel dans l’équipe. On considère les joueurs comme des morceaux de viande. T’es pas bon ? On te jette. J’avais l’impression que les gars n’étaient que de la marchandise… Mais cela ne venait pas des jeunes. C’est un état d’esprit présent au sein des directions des clubs. Il y a de la place pour 11 gars, pas un de plus. Tout cela m’a poussé à arrêter de jouer.

- Mais pourquoi avoir voulu devenir éducateur dans un tel contexte, alors ?
Pour justement transmettre ce que j’avais pu apprendre dans les quartiers…

- C'est-à-dire ?
Dans un quartier, la mentalité est complètement différente de ce qu’on trouve dans un club. Il y a un esprit d’équipe, un respect de l’autre, et une vraie volonté de le connaître, d’aller vers lui. Franchement, on y trouve plus de solidarité que dans un club. Après, dans ma vocation, il y avait aussi l’envie de voir les jeunes sur un terrain plutôt qu’en train de traîner dans la rue. J’ai toujours été plus perçu comme un grand frère que comme un éducateur ou un policier.

- Parce que vous êtes aussi policier…
Oui, policier municipal. Même si je viens d’un quartier difficile, même si j’ai pu faire quelques conneries étant jeune, c’est toujours ce que j’ai voulu faire. Pour moi, le policier a toujours été la figure du justicier. Il symbolisait tout ce qui était juste. Tous les jeunes que j’entraîne ont toujours été au courant de ce que je faisais, et ça n’a jamais posé le moindre problème, au contraire. Un jour, un gamin m’a reconnu et m’a demandé comment je pouvais jouer au foot avec eux alors que j’étais policier… Ça m’a fait plaisir et m’a un peu choqué en même temps. Mais sinon, je n’y trouve que des avantages. Les gamins de quinze ans qui s’apprêtaient à faire des conneries, j’allais les voir. Ils pouvaient me tutoyer, pas de problème. Je leur parlais, je les mettais devant les conséquences de leurs actes, ils m’écoutaient davantage qu’ils ne l’auraient fait avec mes collègues. Le fait d’avoir côtoyé les jeunes dans le foot en tant qu’éducateur a toujours été un gros avantage.

- Et vous n’avez jamais rechaussé les crampons en tant que joueur ?
- Si, depuis deux ans. L’envie de me dépenser était trop forte. Et, surtout j’ai découvert une autre fédération que la FFF : la FSGT, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant (ndlr : la Fédération Sportive et Gymnique du Travail, particulièrement implantée dans les quartiers populaires et les anciennes « banlieues rouges »). La mentalité n’y a rien à voir. Tout le monde joue, quel que soit son niveau ou son âge. Des gars de 45 ans avec des jeunes de 18. J’ai vu des dirigeants associatifs passionnés, désintéressés, dévoués. Il y a toujours une troisième mi-temps avec l’arbitre et l’équipe adverse. L’idée, plus que l’esprit de compétition dont on ne veut pas, c’est la mixité, et échanger des choses.


* L’entretien, prémonitoire, a été réalisé juste avant les déboires des Bleus en Afrique du Sud…

 

texte et interview
Cyril Pocréaux - Ressources Urbaines

Voir sur le même sujet l'edito d'Erwan Ruty sur le site de Ressources Urbaines

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