
Egalité des chances : sauver les meilleurs ? - Ressources Urbaines

Avec le débat sur « l’objectif » de 30% d’élèves boursiers présents dans les grandes écoles, et les hésitations de celles-ci à aller dans ce sens, l’antique et nécessaire débat sur l’égalité et la méritocratie est relancé.
Tout le monde trouvera indispensable que les élèves issus des classes populaires aient accès, au même titre que les autres, aux meilleures écoles de la République, alors que leur présence est passée en quelques décennies de quelques 30% à environ 10% des inscrits dans ces écoles. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’égalité en prend un sérieux coup derrière les oreilles. On estimera donc tout à fait prioritaire l’instauration d’une politique de type « affirmative action » sociale (qui bien entendu ne dira jamais son nom), afin de faire toute leur place aux meilleurs des élèves, quelle que soit leur origine sociale. On estimera même remarquable que ce cheval de bataille soit enfourché par un gouvernement de droite, qui ose ainsi secouer le système de formation des élites. Voire… Car, prenons garde au syndrome de Billy Elliot ; du nom de ce film célébrant l’ascension fulgurante d’un prodige de la danse issu de la working class anglaise en pleine ère thatcherienne ; alors justement que l’immense majorité de cette classe ouvrière-ci sombrait dans la misère sociale et la plus profonde dépression. On pourrait aujourd’hui parler, dans le même genre, d’un syndrome Obama : la possibilité pour une fraction (parfois non négligeable, comme aux Etats-Unis) d’une population donnée (ici : les Afro-Américains) de s’élever socialement, pour parfois même atteindre les plus hautes sphères du firmament politique… tout en laissant la très large majorité des autres membres de cette même population s’enfoncer dans une misère, une violence, une ghettoïsation, une anomie sans pareille. De même, en France, est-on en droit de se dire que, certes, les meilleurs élèves doivent pouvoir s’en sortir, ne serait-ce que pour permettre aux autres, moins bons, de croire que cela est juste possible. De l’autre côté de l’Atlantique, on appelle ça le rêve américain.
Certains jugent qu’il s’agit d’une mystification, qui n’a pour but que de rejeter la responsabilité d’un échec éventuel sur le seul individu, et ses aptitudes personnelles seules. Sans tenir compte des déterminismes sociaux, ou alors seulement pour aider quelques uns, les meilleurs, à s’en abstraire. Dans ce cas, on dira : rêvez, braves gens, et en attendant de quelques uns d’entre vous s’en sortent individuellement, vous vous tiendrez tous tranquilles. Ces critiques de l’égalité des chances ont alors beau jeu de juger plus démocratique, plus égalitaire justement, d’aider la masse à ne pas sombrer. Et donc de réclamer prioritairement que l’ensemble d’une classe sociale ait accès au savoir, aux études, à la culture, à l’ascension sociale. Et par exemple, à l’Université, une Université qui du moins en aurait les moyens. Cela inciterait alors à prioriser une aide massive aux acteurs des filières générales d’enseignement supérieur, pas seulement à permettre l’accès de quelques centaines d’enfants des quartiers populaires aux ors de l’Education Nationale. La question est donc : traiter l’exception, ou changer la règle ? Changer quelques têtes, ou changer la société ? Veut-on créer des inégalités sociales plus légitimes, ou essaie-t-on de faire en sorte que l’essentiel des enfants issus des classes populaires ne soient pas renvoyés vers des voies de garage, ou que 150 000 élèves sortent de l’école sans aucune qualification chaque année. Dans un cas, la méritocratie n’est qu’une idéologie, une « fiction grâce à laquelle les inégalités des talents et de la naissance sont « blanchies » par l’école pour renaître comme les produits incontestables de la volonté et du courage », juge le sociologue François Dubet. Et de remarquer qu’il est plus facile de distinguer quelques meilleurs que de promouvoir l’ensemble des plus faibles. Evidemment, a fortiori en période de rigueur, le choix est vite fait pour ceux qui tiennent les cordons des finances publiques…
Erwan Ruty - Ressources Urbaines