
Du lycée Alfred Nobel (Clichy-sous-bois) à Sciences Po

Avoir grandi à Clichy-sous-bois et faire des études de Sciences Politiques. Le genre de parcours qui met K.O les idées reçues. Nawufal Mohamed a conscience du fossé qui sépare les habitants des cités de « ses collègues » de Licence de Sciences Politiques. Si tout s'est toujours bien passé à l'université, le jeune clichyssois a tout de même noté quelques différences.
deuxième épreuve... : « J'étais déjà parti en vacances ! Une erreur de jeunesse…
Les conditions d'accès au fameux Institut d'Etudes Politiques, plus communément appelé Sciences Po, sont longtemps restées élitistes. Depuis 2001, à l'initiative du regretté Richard Descoings, le recrutement est ouvert aux lycéens des Zones d'éducation prioritaire des banlieues. A la rentrée 2006, après les émeutes, des équipes de Sciences Po, du Conseil régional ainsi que le maire de la ville, Claude Dilain, à grand renfort d'équipes de télévision, étaient venus présenter une nouvelle façon de travailler : « Les journalistes nous avaient demandé si nous voulions faire Sciences Po, j'ai répondu que je connaissais pas Sciences Po » se remémore Nawufal Mohamed, alors scolarisé au Lycée Alfred Nobel à Clichy-sous-bois. C'est ainsi qu'à la fin du lycée, il tente le concours pour entrer à l'IEP. Première épreuve réussie avec brio, deuxième épreuve... : « J'étais déjà parti en vacances ! Une erreur de jeunesse… » lance-t-il en souriant. Peu importe, il savait quelles études il voulait faire.
Dans mes autres classes, collège, lycée etc, il m'arrivait de compter les blancs, en disant « ils sont minoritaires » [...] Par contre, arrivé à la Fac j'avais l'impression d'être marginalisé
« Pas du même milieu que moi »
Outre l'IEP, la seule université à proposer une licence de Sciences Politiques est celle de Paris 8 – Saint-Denis. Nawufal choisit donc « la capitale du 93 » : « C'était mon premier choix [...] J'ai essayé un semestre, ça m'a beaucoup plu. Je me suis retrouvé avec pas mal de gens dont je sais aujourd'hui qu'il ne venaient pas du même milieu que moi. » Sciences Po, même à Saint-Denis, reste Sciences Po, pour Nawufal. Le changement est assez radical : « Dans mes autres classes, collège, lycée etc, il m'arrivait de compter les blancs, en disant « ils sont minoritaires » [...] Par contre, arrivé à la Fac j'avais l'impression d'être marginalisé, je regardais autour de moi et les gens comme moi, j'en voyais pas beaucoup. Et plus le temps passait [pendant les deux premières années de licence], moins j'en voyais. »
si j'avais eu des bibliothèques ou des musées à Clichy-sous-bois, peut-être que j'aurais été aussi bon, voire plus fort qu'eux.
Mon père...
Aujourd'hui Nawufal est en 3ème année de Licence. Tout se passe très bien avec ses camarades de Licence, mais en début d'année, il a encore été étonné : « A la rentrée, les gens ont commencé à se dévoiler, à raconter leur vie. Moi, on voyait déjà d'où je venais, mais les autres c'était « Mon père est médecin, mon père est avocat, le mien ingénieur... » ». Le clichyssois en a encore découvert un peu plus sur ses collègues et y voit une différence fondamentale : « Eux ils ont des acquis, de la culture... moi je n'excelle pas mais j'arrive à me débrouiller. Mais je me dis si j'avais eu des bibliothèques ou des musées à Clichy-sous-bois, peut-être que j'aurais été aussi bon, voire plus fort qu'eux. » Malgré tout, il considère quand même faire partie des privilégiés de son quartier...
Expérience lycéenne
Si Nawufal ne se sent pas si désavantagé que ça, c'est qu'il a eu la chance d'avoir été dans le bon lycée au bon moment : « Sans l'expérimentation de la seconde, je n'aurais jamais fait Sciences Po. Dans ce programme, le mardi et le jeudi étaient des jours banalisés. Ce qui signifie que nous pouvions faire de l'histoire, des maths, mais nous pouvions aussi voyager, découvrir des choses. Par exemple, nous avons visité le Parlement européen et la Banque centrale européenne. Sans ce travail là, j'aurais été beaucoup plus en difficulté. » Les cours se passent plutôt bien, le fait de venir d'une ZEP n'influe pas sur le comportement des professeurs : « Avec les profs, c'est simple, ils ne vont jamais te faire chier si t'as la moyenne à leur cours.[...] Il y en a une avec qui j'ai du mal... mais parce que j'ai pas réussi à avoir la moyenne. » confesse-t-il dans un éclat de rire.
si je ramène six, sept de mes potes, ils vont dire « il a ramené tous ses potes lui, pour qui il se prend ? Il veut ghettoïser nos soirées ou quoi ?! »
Les soirées
Elles sont inhérentes à la vie étudiante. Parties intégrantes de la vie de groupe des étudiants. Évidemment, Nawufal a encore beaucoup d'amis à Clichy-sous-bois. Comment se passe la rencontre entre le quartier et le petit monde universitaire ? Il nous répond sans détour : « Si je vais à une soirée où je sais que je peux inviter des personnes, je ramène mes potes de Clichy. Après je fais un peu gaffe, si je ramène six, sept de mes potes, ils vont dire « il a ramené tous ses potes lui, pour qui il se prend ? Il veut ghettoïser nos soirées ou quoi ?! » donc j'en ramène un ou deux ! » Concernant le mode de sélection de ses potes à inviter aux soirées étudiantes, c'est simple : « Les gens que je ramène sont les moins pires de la banlieue. Ils sont comme moi, nous sommes les moins pires de la banlieue ! Je n'ai jamais ramené un bagarreur, un mec qui part au quart de tour qui va tabasser un collègue, ça le fait pas trop. » Et quand on lui demande s'il n'y a jamais eu de problèmes avec ses potes, la réponse fuse : « Ils n'ont pas intérêt ! » glisse-t-il en rigolant.
C'est le week end, les gens prennent le dernier métro et ils arrivent chez eux. Moi, il faut que j'essaie d'avoir le dernier bus, le dernier RER et le dernier métro.
Les transports
Quand on va en soirée, la question du retour à la maison est inévitable. Elle devient même un casse-tête quand on n'habite pas Paris intra-muros : « Quand on fait une soirée, mes potes me disent « non tu ne rentres pas à Clichy toi, parce que si tu rentres tu vas plus revenir ». Si la soirée commence à 23h ou minuit, je n'ai pas envie de me retrouver dans le froid en train de cailler pour rien à attendre un bus, j'y vais pas. » Le problème se pose, même s'il ne s'agit pas de passer une nuit en boîte : « Ce qui est blasant, c'est les apéros. C'est le week end, les gens prennent le dernier métro et ils arrivent chez eux. Moi, il faut que j'essaie d'avoir le dernier bus, le dernier RER et le dernier métro. Donc je suis obligé de partir plus tôt. Et ce qui m'énerve, c'est qu'ils restent plus tard, mais ils arrivent chez eux plus tôt que moi ! » Heureusement que pour aller à Saint-Denis, c'est plus rapide : « Pour aller à la fac, ça va vite ! Je prends un bus, un tram, un RER, un métro. J'en ai pour 45min – 1h ! »
Après est-ce que tu fais des études Sciences Po pour reproduire les mêmes schémas qu'avant ? Ca sert à rien.
Changer les choses
Finalement, Nawufal regrette-t-il d'être à Paris 8 plutôt qu'à l'IEP ? Le jeune homme reste très pragmatique : « Ca dépend. Je verrai peut-être plus tard, une fois que j'aurai fini mes études, je verrai en quoi l'IEP m'aurait servi, et en quoi Paris 8 m'aura desservi... » Que fera-t-il après sa Licence ? Il ne sait pas encore mais le champ des possibles est vaste : « Journalisme, collectivités territoriales dans les zones sensibles… Je pense que je pourrais me rendre utile. Ou éducation, ou diplomatie, relations internationales, ça peut être pas mal aussi... Si on veut gagner beaucoup d'argent avec les études de Sciences Po c'est possible, à moins d'être un idiot... Après est-ce que tu fais des études Sciences Po pour reproduire les mêmes schémas qu'avant ? Ca sert à rien. »
Nawufal Mohamed fait partie de cette génération des quartiers qui veulent changer les choses et qui s'en donnent les moyens, ce qui le rend optimiste pour la suite des événements : « Tout seul je ne pourrai peut-être pas changer les choses. Mais maintenant je sais comment ça se passe en politique. »