
Daniel Goldberg : « Il faut faire baisser le niveau de peur de chaque côté »

La poigne de Manuel Valls fait grimper sa popularité. La politique sécuritaire du gouvernement actuel est-elle dans la continuité de Sarkozy ? Ce n’est bien sûr pas l’avis de Daniel Goldberg, enfant du 93 et député PS de ce département réputé « le plus criminogène de France ».
Est-ce que vous pensez qu'il y a une conception de droite et une conception de gauche de la sécurité ?
Les policiers dénoncent régulièrement la politique du chiffre. Comment se positionne le gouvernement actuel sur cette question ?
Ça fait partie bien sûr des grandes différences. Je considère qu'on y a mis fin. Ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas avoir des objectifs, mais le but du jeu n'est pas de faire des croix et des bâtons dans un tableau pour dire on a bien travaillé. On savait bien qu'à la fin de l'année quand les objectifs n’étaient pas ceux fixés, eh bien on faisait du chiffre. De mon point c’est en train de changer. Manuel Valls a été clair de ce point de vue-là. Le jour où il a été nommé il est venu à Aulnay-sous-Bois et on l'a emmené voir des copropriétaires dans un endroit où avec le maire d'Aulnay on avait failli avoir une confrontation physique avec des gens qui voulaient nous empêcher d'entrer dans tel hall d’immeuble. On lui a dit qu'il faut qu'on puisse revenir dans 5 ans, ou même avant, en se disant qu’on a amélioré la situation.
Vous comprenez les réactions du monde associatif lors des évacuations de camps de Roms par Manuel Valls ? On a dit que c'est cet affichage d'autorité qui a fait que des habitants de Marseille se sont sentis autorisés à se faire justice eux-mêmes.
J’ai été choqué par ce qui s'est passé à Marseille et, comme d'autres, interrogatif par rapport à certaines décisions prises pendant l'été, notamment à Lille. Une fois que je dis ça, on a une vraie difficulté avec ces campements. Pour avoir à gérer au quotidien les relations entre les personnes qui ont le droit de vivre dans la dignité et les habitants du quartier aux alentours. Quand on est élu local, on a la responsabilité des conditions d'hygiène dans ces endroits. C'est pour ça que je soutiens l'installation des villages d'insertion. Il y en a à Aubervilliers, à Saint-Denis, à Lille. Ils permettent à des habitants de se sédentariser, de rentrer sur le marché du travail. Mais ça touche très peu de monde. Il faut bien sûr faire attention à ce qu'on fait, les limites, c'est les lois de la République. Dans la circulaire que Manuel Valls a prise cet été, il faut s'assurer qu'on s'occupe des personnes évacuées. Ça fait partie des changements dont l'application n'est pas simple. Moi j'ai soutenu le fait que Manuel Valls et Bernard Cazeneuve aillent en Roumanie parce que le problème il se situe là aussi. On sait très bien que c'est une minorité ethnique qui est discriminée dans leur pays et ce sont aussi des citoyens européens. La question de leur possibilité de travailler et essentielle.
Pour vous les ZSP sont-elles une bonne solution pour répondre aux problèmes de sécurité ? Certains syndicats de police dénoncent l'utilisation des CRS qui sont plutôt formés au maintien de l'ordre qu'à la proximité.
Les Zones de Sécurité Prioritaires, c'est un dispositif expérimental, qui était de se dire : si on concentre les moyens et l'organisation dans un lieu, est-ce qu'on obtient des résultats ? Je pense que c’est comme toute expérimentation : à juger au résultat. Une fois qu'on dit ça, moi je vois ça positivement, parce que tous ceux qui ne sont pas Zone Prioritaire de Sécurité en demandent. Ce qui prouve que la question des moyens est importante. Je ne crois pas que les CRS répondent à tous les problèmes de sécurité. Il faut des gens formés qui restent longtemps, qui connaissent le territoire, les gens qui y habitent, qui voient grandir les familles. On vient d'avoir le jugement sur les deux jeunes morts de Clichy-sous-Bois. Pour en avoir discuté avec mon ami Claude Dilain, les policiers n'étaient pas du secteur. S’ils n’avaient pas été envoyés en projection, s’ils connaissaient le terrain physiquement, ils auraient peut-être su qu'ils allaient dans un transformateur. Ils auraient peut-être connu les jeunes. Je me souviens de ce qui a été dit sur ces jeunes, qu'ils venaient de faire un cambriolage ou je ne sais pas quoi. Or c'était des jeunes sans histoires. C'était l'exemple même de la méconnaissance du terrain. Quand il y a plein de policiers quand il s’est passé quelque chose de grave et personne le lendemain, ça ne donne pas confiance dans les institutions.
Qu’est-ce qui peut être fait dans le sens de la confiance ?
Le droit à la sécurité doit être le même partout. J'ai quand même l'impression de voir beaucoup plus de policiers au mètre carré à Paris qu'en Seine-Saint-Denis. Deuxième chose : avoir des policiers mieux formés. Je ne dis pas qu'il faut des gens âgés mais faire venir en Seine-Saint-Denis des policiers qui n'ont jamais vu un mètre carré de bitume, qui ne connaissent pas les codes. moi j'ai grandi à la Courneuve, je suis né à Saint-Denis… Je pense que même en étant habillé en costume cravate parce que c'est l'habit du député, je connais ces codes. C'est la question de la formation, de l'encadrement, de faire baisser le niveau de peur qui existe de chaque côté. Chez les 95% de tous ceux qui n'ont rien à se reprocher, il y a un manque de confiance. On n'aura pas une amélioration des conditions de sécurité dans nos villes s'il n'y a pas ce sentiment de confiance de la population qui n'a rien à se reprocher. Et de l'autre côté, du côté des policer, ils ont été trop formatés pendant les dix années de Nicolas Sarkozy à avoir peur de la population. La peur, ça peut s'exprimer par des comportements d'agressivité parfois verbale, parfois physique.
Le projet de récépissé pour limiter les contrôles au faciès aurait pu apporter plus de confiance…
Sur le récépissé, c'est une mesure qu'on a défendue, il ne peut pas se faire sans un minimum de consentement des policiers. Il ne faut pas non plus qu'ils se sentent à la merci de plein de choses. Si ce n’est pas un récépissé, trouvons autre chose qui permet au citoyen qui se trouve en bute à des discriminations de pouvoir le faire savoir. Moi je m'appelle Daniel, j'ai 47 ans, je suis né à Saint-Denis, j'ai grandi à la Courneuve et je crois pouvoir dire que je ne me suis jamais fait contrôler dans la rue. Je pense que je ne m’appellerais pas Daniel, j'aurais la peau un peu plus basanée, voire noire, je ne serais pas dans la même situation. C'est une réalité qui est insupportable pour les jeunes qui n'ont rien à se reprocher, qui se font contrôler très régulièrement. En même temps, parce que je discute pas mal avec les syndicats de policiers, le métier de policier ce n’est pas simple. Il faudrait pouvoir dire : « j'ai eu à faire au fonctionnaire 3852 et je trouve que ça ne s'est pas bien passé ».
Je n'ai jamais pu en tant que député, depuis 2007, connaître le nombre de policiers affectés à la Seine-Saint-Denis
Les Contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance sont-ils un bon outil ?
Le but est de mettre tous les acteurs autour de la table, pas seulement les policiers, mais aussi les services municipaux, l'éducation nationale, les organismes de transport. Ceux qui peuvent avoir des responsabilités sur un lieu géographique. Pour en avoir suivi quelques-uns quand j'avais des responsabilités locales, la confiance, même là, elle n'existe pas, parce qu'il n'y a pas un chef de file. Je pense que ça devrait être le maire qui a le statut de police judiciaire.
Si on avait en Seine-Saint-Denis des comités très localisés pour régler les problèmes pratiques avec le maire comme chef de file, une vision au niveau de la division de police qui regroupe plusieurs commissariats, avec le commissaire divisionnaire qui a vraiment la main sur l'ensemble des forces qu'il a à sa disposition et, au niveau du département, un lieu clos dans lequel policier et élus pourraient se dire ce qu'ils ont sur le cœur, je pense que ça rajouterai de la fluidité et de l’efficacité. Parce que je n'ai jamais pu en tant que député, depuis 2007, connaître le nombre de policiers affectés à la Seine-Saint-Denis.
La suppression du Comité de Déontologie de la Sécurité n’a également pas aidé au niveau de la confiance…
Les missions du Comité de déontologie de la sécurité et de la HALDE ont été absorbées par le Défenseur des droits. J’ai combattu ce dispositif parce que la visibilité des deux fonctions est beaucoup moins forte. Mais on n'est pas non plus dans une optique d'ardoise magique où l'on efface tout ce que les autres ont fait. Sur la commission de Déontologie de la Sécurité, c'est assez grave parce que c'était une toute petite structure, mais qui avait complétement montré son indépendance. C'était un contrôle de l'action publique et je pense qu'on manque de ça, d'un avis indépendant.