Collectif Sacamain. Les mamies de Saint-Denis font de la résistance

Le 23-09-2014
Par Anabelle Gentez / CFPJ

Depuis le début de l’année, les habitants de Saint-Denis ont vu apparaître des affiches dénonçant l’incivilité et les violences subies par les femmes dans la rue. Signée par un certain « collectif Sacamain », dont les membres souhaitent rester anonymes,  la campagne d’affichage a vite été interprétée comme une manœuvre politique en pleine campagne des municipales. Une critique réfutée en bloc.

 

«J’ai perdu ma liberté d’aller au théâtre le soir, de sortir mon sac à main », décoche Sylvie, 66 ans, native de Saint-Denis. Comme elle, une dizaine de femmes dionysiennes s'est regroupé au sein du collectif Sacamain, un mouvement né au début de l’année pour lutter contre l’incivilité dont elles s'estiment victimes au quotidien. « Dès le soir, on ne sent plus du tout en sécurité, raconte ainsi Catherine*, l’une des fondatrices du groupe. Il y a des hommes dehors qui boivent, qui fument, qui se battent, et qui parfois nous agressent physiquement. »

« Ce que nous voulons, c’est faire sauter le tabou qui existe à Saint-Denis sur l’insécurité, raconte Solange*, une autre fondatrice du mouvement, qui souhaite aussi rester anonyme. Dès que l’on en parle, on est considéré comme des sympathisants du FN, alors que notre démarche est citoyenne et absolument pas partisane. » Le collectif demande à ce que des moyens supplémentaires soient alloués, et pas forcément sur le plan répressif. « Le discours de la mairie, c’est systématiquement qu’ils n’ont pas d’argent. »

 

La réponse de la mairie

 

Le baromètre de la délinquance 2013 publié par l’Express place Saint-Denis en 3e position des circonscriptions les plus dangereuses de France et d’Outre-mer. C’est même la pire circonscription en ce qui concerne les violences physiques crapuleuses (avec vol).

Et la question du manque de moyens est effectivement une des premières causes évoquée par la mairie. « Nous avons seulement un quart des effectifs de Police Nationale alloué au 18e arrondissement de Paris, explique ainsi une employée municipale, qui souhaite restée anonyme elle aussi. Si nous augmentons la police municipale, ce sont les Dionysiens, une population déjà assez fragilisée, qui vont devoir payer des impôts locaux en plus. Ce n’est pas normal qu’ils payent deux fois pour leur sécurité, c’est à l’Etat d’assurer son travail. »

Pour expliquer cette délinquance spécifique au centre de la ville, cette même source évoque la question de l’insalubrité de l’habitat privé. « Les appartements sont vendus peu chers à cause de leur état dégradé, et cela attire les populations pauvres mais aussi les marchands de sommeil. La ville est très engagée sur cette question de rénovation urbaine. »

 

Une démarche mal comprise

 

Les femmes, interrogées au hasard sur la brocante qui avait lieu ce jour de septembre sur la place de la mairie, le confirment de manière unanime. Jeunes ou vieilles, de quelque origine que ce soit, leur constat est sans appel. « Je me suis fait plusieurs fois arracher mon sac à mains et frapper, raconte Janine, une retraitée qui habite Saint-Denis depuis 1960. « J’ai peur d’être agressée, avoue Malika, 46 ans, dont les doigts enserrent la anse de son sac à main, collé à son épaule. Je me suis déjà fait voler trois fois mes papiers, mais ils ne m’ont pas frappée car je leur ai laissé mon sac. Cela me fait beaucoup de peine, voir tous ces jeunes zoner, c’est vraiment triste. »

Le collectif Sacamain n’a pourtant pas reçu un très bon accueil au sein de la population. Une de leurs premières actions, qui fût de placarder des affiches un peu partout dans Saint-Denis, fut perçue comme un geste de provocation par bien des habitants. Sophie*, une dionysienne qui passait par hasard au moment de notre reportage, raconte qu’elle soutient maintenant l’action du collectif, mais qu’au moment où elle a vu une des affiches (qui montre un jeune cagoulé arracher un sac à une vieille dame), elle a mal perçu le message. « Je me suis demandée ce que c’était ce truc, et j’ai trouvé ça un peu choquant. Mais maintenant que je sais qui se cache derrière, je comprends mieux et je sais que ça n’a rien de raciste. »

Sophie n’est pas la seule à avoir été choquée. L’anonymat des auteurs des affiches a fait couler beaucoup d’encre au moment de leur apparition sur les murs de la ville, comme en témoigne le mur Facebook de Sacamain. On voit notamment une autre association de la ville demander énergiquement au collectif de dévoiler son identité.  Mais cet anonymat est totalement assumé par Catherine. « C’était simplement parce qu’on ne voulait pas que ce combat soit concentré sur nos personnes. Qui je suis importe peu, c’est le message qu’il faut écouter. »

Paradoxalement, le collectif organise des cafés rencontre dans la ville, preuve que l’anonymat n’est pas tant une volonté de se cacher que la peur d’être personnellement pointée du doigt par les Dionysiens. Catherine* a par exemple dû faire face à la réaction hostile de ses enfants. « Ils m’ont reproché de donner une mauvaise image de leur ville avec ces affiches. Mais le but, c’était aussi de provoquer une réaction, et ça, au moins, ça a marché. »

 

La place des femmes dans l’espace public

 

Parler des agressions dont sont victimes les femmes à Saint-Denis, c’est forcément aborder la question des rapports hommes/femmes dans une ville où vivent des communautés sociales et culturelles très diverses. L’espace public, dominé par la présence masculine, ajoute au sentiment d’insécurité ressenti par les femmes. Sylvie, qui déménage bientôt pour le sud de la France, parle même d’une véritable  « frustration sexuelle de la gente masculine ». « Je me suis fait peloter les seins la semaine dernière par un mec bourré. A 61 ans, vous vous rendez compte ? »

Dans de nombreux cafés qui longent le tramway et entourent la mairie, on ne voit  effectivement que des hommes. Camille, une étudiante de 20 ans rencontrée sur le marché, en parle assez spontanément. « Moi ça ne me dérange pas du tout qu’il y ait beaucoup de blacks et de rebeus, je ne me sens pas en insécurité à cause de ça. Mais c’est vrai qu’ici, les femmes et les hommes sont séparés, et ça, ça me dérange un peu. »

Le sujet, qui en définitive est de savoir si le problème vient d’une confrontation culturelle, de l’explosion de la misère sociale, de l’islamisation du quartier, ou d’un savant mélange de tout cela, fait naturellement débat au sein du collectif. Toutes ne sont pas d’accord sur ce qu’il faut vraiment dénoncer. Elles ont pourtant organisé des réunions dans des cafés monopolisés par les hommes, comme celui de la mairie, et cela afin que les femmes puissent se réapproprier l’espace public. «  On se sent épiées et on a peur d’aller dans certains endroits, ce qui n’est pas normal, tranche Catherine, une des plus mesurée du groupe. Quand nous avons organisé la rencontre au café de la mairie, nous avons pu parler avec les hommes, et ça s’est très bien passé ! Nous ne voulons pas être contre qui que ce soit, au contraire, nous voulons créer du lien. Ce que nous demandons, c’est simplement de vivre en sécurité dans cette ville, que nous avons aimée justement pour sa mixité sociale et culturelle. »

 

*Les prénoms ont été changés.

 

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