CinéZep, un nouveau genre ?

Le 05-05-2011
Par xadmin

L’école : Un thème redondant dans le cinéma sur les quartiers populaires. La référence actuelle en la matière ? Entre les murs de Laurent Cantet, adaptation du roman de François Bégaudeau où ce dernier joue son propre rôle d’enseignant de français dans un collège « difficile » du 19e arrondissement de Paris. Le film avait obtenu la palme d’or à Cannes en 2008. Nicolas Sarkozy avait exprimé sa « joie » et sa « satisfaction » devant cette récompense… Mais quel est l’impact de cette nouvelle vague du ciné français ?

En 2008, après Entre les Murs, là où on aurait attendu une réflexion, une amorce de changement, des propositions, un budget supplémentaire, l’école républicaine obtenait la satisfaction présidentielle pour une Palme d’Or à Cannes. A l’Elysée, on préfère se féliciter d’un succès sur la Croisette plutôt que de s’interroger sur les raisons d’un échec de l’éducation nationale. Car Entre les murs est bien plus qu’une fiction…

D’autres films ont traité la question de l’école dans les quartiers populaires, de manière plus secondaire comme L’Esquive, d’Abdelatif Kechiche, sorti en 2004 et César du meilleur film en 2005. La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld, sorti en 2009 traite de cette question avec humour, grâce à une Isabelle Adjani dans le rôle d’une prof qui pète un câble et prend en otage sa propre classe avec un revolver pour enfin pouvoir donner un cours de français. Nous, princesses de Clèves, documentaire de Régis Sauder, sorti le 30 mars 2011, remet au premier plan des élèves de ZEP, qui s’approprient le texte de Madame de La Fayette, cette fois dans les quartiers nord de Marseille. Ces films, qui ne passent généralement pas inaperçus dans la presse, sont devenus un nouveau genre, un cinéZEP où le spectateur vient découvrir comme en terre étrangère des élèves aux comportements bizarres.

Que pense le corps enseignant de cette filmographie ? Au lycée Jean Jaurès, dans le 19e arrondissement où Entre les murs a été tourné, rencontre avec François Favre, coordinateur de la classe CIPPA1, et Alex B., professeur d’histoire.

Presse et Cité : Les films qui traitent de la situation de l’enseignement en ZEP reflètent-ils la réalité de ce que vous vivez au quotidien ?

François Favre : Nous vivons des situations similaires à celles que l’on observe dans  ces films. Les problèmes de l’adolescence, période particulièrement difficile pour tous les jeunes, additionnés à des difficultés sociales et matérielles propres à ces jeunes-là, font que cela devient très compliqué d’avancer avec eux. Il faut dire qu’ils sont parfois dans des situations dramatiques : abandon, des enfants placés en foyer depuis l’âge de trois ans et qui se sont toujours débrouillés seuls. J’ai également des jeunes filles enceintes ou des jeunes sous l’emprise des drogues douces.

Alex B. : Ces films ont le mérite de traiter des réalités d'un environnement scolaire dans les quartiers populaires. Beaucoup de proches m'ont dit qu'ils ne pensaient pas que les situations d'enseignement étaient devenues si difficiles. J'ai commencé ce métier dans un établissement très difficile de Meudon la forêt en 1995 avec des élèves qui venaient de Trappes, et les conditions étaient déjà celles-ci il y a quinze ans ! Par ailleurs, les réalités évoquées dans ces films me semblent parfois bien en-dessous de celles de certains établissements où les règles sont encore moins bien respectées. Bien sûr, cela reste des exceptions, ils existent aussi des établissements où des enseignants, individuellement ou en équipe, ne baissent pas les bras et tentent des expériences ou des projets, par ailleurs dévoreurs de temps et d’énergie. Comme ce que l’on voit dans L’Esquive. Mais il me semble qu'il s'agit d'une classe de seconde générale.

- Est-ce que ces films ont apporté quelque chose à votre réalité?

François Favre : Ils n’ont pas eu d’incidences sur le système, mais ont plutôt provoqué des prises de conscience individuelles. Un ami belge, avocat, âgé de 80 ans, est allé voir Entre les murs, et m’a fait part du choc que cela avait représenté pour lui. L’école à son époque n’était pas du tout comme ça. Selon lui, le problème se trouve dans la maîtrise de la langue. Pour lui, enseignants et élèves ne parlent pas le même langage dans ces classes-là et la première chose à faire est de réapprendre à parler et à rédiger. Il y a un travail à faire là-dessus dès l’enfance. A l’adolescence, il est déjà tard car de mauvais réflexes sont installés.

Alex B. : Je n’ai pas le sentiment que ces films aient modifié ou fait bouger les choses dans les pratiques des enseignants ou du Ministère. Le succès populaire ou la Palme pour Entre les murs ont permis à l’opinion de mesurer combien le fossé scolaire est important dans notre pays. La polémique sur ce film portait notamment sur la démagogie du prof et sur ses erreurs de débutant. Personnellement, je trouve ces critiques sévères. D'une part parce qu'on met bon nombre de néo-titulaires dans ces établissements difficiles et, d'autre part, parce que mêmes des profs chevronnés peuvent très souvent être déstabilisés et avoir recours à un rapport démagogique avec les élèves pour éviter les conflits. Une pratique courante est de surnoter les élèves, car le niveau est tellement bas qu’on ne veut pas les humilier. Au nom de la valorisation et de l’estime de soi. A sa sortie, Entre les murs avait été jugé exagéré par le monde enseignant, qui ne s’y retrouvait pas, jugeant le miroir trop déformant. Je pense que certains profs, surtout ceux de lycées généraux ou de collèges, se retranchent dans leur vécu parfois confortable et sont déconnectés d’une certaine réalité. Beaucoup sont les premiers à mépriser les lycées professionnels, à ne pas les envisager pour leurs propres enfants car la voie professionnelle reste celle de la relégation et concerne très majoritairement les classes populaires et les jeunes issus de l’immigration.
 

Meriem Laribi


1Cycle d’insertion professionnelle par alternance. Classe où des élèves de plus de 16 ans, exclus de leurs lycées sont regroupés pendant un an en vue d’une réinsertion à travers un emploi ou une orientation vers un CAP ou un Bac pro.

 

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