Chronique scolaire : « Mourir d’aimer »

Le 12-04-2010
Par xadmin

Démarche assurée, petit sourire de séducteur à 9h 15, basket T-shirt assortis façon mariage rap, extrémités flashy : du haut de ses 14 ans, Will est déjà sûr de lui et de son pouvoir d’attraction.

Il règne sur la cours du collège comme un coq sur la sienne. Prédateur au grand sourire et à la voix languissante, il sait faire traîner les phrases et sa langue sur les cous des filles. Il sait aussi donner aux cailles l’impression qu’elles sont uniques, autant dire qu’elles sont nombreuses, celles qui rêvent de sortir avec « Willlll » dans la basse-cour. Les 6ème n’osent y penser, les 4ème tentent de le croiser, les 5ème cachent leur acné et les 3ème prient pour être dans sa classe.

L’année dernière, Will guettait et flirtait avec les filles, les belles de préférence mais il s’autorisait des digressions. Son terrain n’avait pas de contours.

Cette année, il ne laisse pas ses yeux à la récréation, il ne laisse pas ses commentaires pour ses congénères pré-pubères mais rapporte compliments et œillades dans la salle de cours. Ses voisines de classe ne sont pas ses proies, cette fois-ci.

Une nouvelle cible danse devant le tableau depuis la rentrée : la nouvelle prof de maths.

Plus grande, plus femme, plus difficile : elle a tout pour intéresser ce Don Juan en formation.

Brune, mate, la poitrine ronde moulée dans un pull rouge, les jambes comme suspendues sur un fil de talons et les lèvres délicieusement ourlées, elle laisse les garçons de la classe silencieux pendant une demi-heure en se présentant à eux.

26 ans à peine. Il le sait déjà. Il a surpris une conversation, lui livrant, âge et prénom en otage. Elle est suffisamment jeune pour être sexy et suffisamment vieille pour être un défi. Will ne la quitte plus des yeux et élabore une stratégie pour attirer son attention.

Il a tout son temps, chaque heure sera un round avant le K.O des vacances scolaires.

Les maths, c’est pas son truc. Qu’importe. Il se met déjà à travailler un peu plus, histoire qu’elle perçoive ses efforts et … celui qui les produit. Première étape réussie, elle constate avec surprise mi-trimestre que celui qu’elle voyait sage au fond de la classe est du genre « dissipé » partout ailleurs. Elle n’y voit que le résultat de sa pédagogie, sans penser que ses yeux et ses lèvres y sont pour quelque chose.

Deuxième étape : la regarder. Ses yeux agrippent les jupes de sa proie et son corps fait ce que les profs adorent : jouer la fascination. Entièrement tendu vers elle, il boit ses cours comme un élève du premier rang.

Will l’écoute quand le silence est là et arrête parfois les bruits des autres élèves par un tonitruant : « mais, oh ! Ecoutez la prof ! » quand d’autres parlent. Elle n’apprécie pas toujours, d’autant plus qu’elle peut l’obtenir seule, ce calme, mais Will aime lui montrer combien il est galant et adore enfiler cette tenue de chevalier servant, face aux élèves, monstre hybride à plusieurs têtes.

Bien entendu, il est efficace. Chose rare, ses interventions ne le font pas passer pour un « bouffon » « boloss » ou autres subtilités. Il a bien calculé l’impact de son comportement en maths sur sa réputation. Le petit Don juan en herbe n’est pas seulement aimé des filles, il est aussi respecté des garçons. Car s’il joue volontairement le « canard » en maths, il reste l’insolent adoré dans les autres matières, contestant, bavardant, se levant et faisant tout ce qu’il est possible de faire en classe, sauf travailler, bien entendu. Son image de dur reste donc intacte, malgré sa sagesse en maths car, au fond, tout le monde sait ou devine qu’il essaye de « gérer » la prof… Défi suprême pour le caïd.

Deuxième étape : s’approcher.

Tous les prétextes sont bons pour traîner après le cours. Laisser le temps aux autres de sortir, en rangeant plus lentement ses affaires. Profiter de la récréation pour rester et éviter ainsi ceux qui arrivent. But ultime : rester seul avec elle, pour créer, LE moment : ce moment où face à lui le prof redeviendra la femme.

Il soigne son apparence quand il a cours avec elle .Casquette colorée, jean Diesel, sweat Nike jusqu’au caleçon : Calvin Klein, négligemment dévoilé sous le jean tombant. Il passe lentement, persuadé qu’elle non plus n’est pas indifférente à leur histoire. Il le sent. Il faut voir la façon dont elle lui dit : « bonjour » quand il rentre dans la classe. Même quand elle lui lance : « Remonte ce pantalon, Will » il sait qu’elle vient juste de regarder ses fesses, enfin, il l’espère.

Elle aussi est soignée. Et pour lui, c’est un signe de plus. Chaque jour, il découvre avec envie sa nouvelle tenue. Il trouve à travers sa garde-robe, ses propres goûts. Il ne peut lâcher des yeux ses talons arpentant la salle d’un pas doucement déterminé. Lenteur du mouvement, puissance de la voix. Elle l’hypnotise.

L’heure des compliments arrivent, comme attendus, préparés par les regards.

Il en énonce des petits d’abord. Soufflés vite, en rentrant dans la classe, toujours mine de rien : « vous êtes ravissante, madame, aujourd’hui ». Ses mots sont choisis pour être acceptés sans être retenus contre lui dans son carnet de correspondance. Des grands mots pour une grande dame, on ne va pas laisser passer un « Vous êtes bonne, Madame ! » même si on le pense… Pas sûr que ça lui plaise et on risque de finir chez la CPE.

Les semaines passent. Will essaye de s’approcher de la femme en laissant le prof à l’arrière avec des compliments plus intimes : « Vous sentez bon madame, c’est quoi votre parfum ? »

“The One Calvin Klein”. Elle a répondu, c’est noté …

Plus il la regarde, plus il l’imagine ailleurs. Dehors. Dans une chambre. Eux, seuls, il s’imagine. L’observation est tellement précise qu’il peut se reconstituer son visage et son corps entier dans le secret de sa chambre. Elle n’est plus la même quand il l’imagine. Elle est comme il la rêve.

Ça aurait pu durer toute l’année comme ça.

Mais il y a ce film. Un soir, Will a un déclic, sur France2, il voit « Mourir d’aimer ». Un film avec une prof et un élève. Il n’a vu que le début, que cet ado et sa prof, suffisant pour voir cette scène où l’ado ose : Il la branche et elle accepte. C’est facile finalement.

Le lendemain, Will fonce.

Il attend. La classe se vide. Il s’approche du bureau. Guépard débutant.

« Madame, j’aimerais vous inviter à diner… »

Elle sourit en continuant de ranger ses affaires.

« Madame, j’suis sérieux…. Vous avez un 06 ? »

Elle lève la tête mi-amusée mi-surprise…et prononce : « Bien sûr, Will… Tu notes »

Will n’en croit pas ses oreilles, elle veut !

Il dégaine son portable prêt à tout noter et sauvegarder pour le reste de sa vie : « Oui, voilà, dites … »
Elle, sur le même ton : « c’est 118 218 »

Will déçu par cette « vanne » digne de lui, lève la tête sans rien montrer de son cœur écrasé et sourit à la plaisanterie.

Elle rajoute simplement ; « Je suis seulement ton prof, mon garçon ».

Il regarde autour de lui, heureux que personne n’ait entendu ce râteau pris en pleine face.

Il la regarde et se voit dans ses yeux à elle. Il s’y voit comme un enfant. Il n’insiste même pas, il sait déjà qu’elle lui sortira simplement une tirade sur les rapports prof /élève.

Ces vêtements, qu’il croyait classes, elle les considère comme une panoplie d’ado et au mieux trouve son style amusant.

Son sourire de lover, elle ne le voit même pas. Il se sent tout petit, comme un spécialiste de football dans un match de hockey.

Elle aussi a vu le film, la veille, et a eu du mal à retenir sa colère face à tant de bêtises.

Les autres jours passent, Will regarde encore celle qu’il n’aura jamais. Elle est pareille. Elle ne lui a pas reparlé de ce moment. Il remarque enfin qu’elle dit « Bonjour » avec un grand sourire à tous les élèves de la classe …

Elle continuera d’être un peu dans toutes les femmes à venir, sans jamais
avoir été la sienne.

L’ado a regretté. L’homme la remercie.
 

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