
Chibanis bannis, les impôts veulent leur peau - Med'in Marseille
Mai 2006 : privés d’avis fiscal par les services des impôts de Marseille, 4 000 vieux immigrés maghrébins
ne peuvent plus bénéficier des minima sociaux ou couverture santé. Une situation dramatique
comme il en existe beaucoup d’autres sur le territoire.
« Dans quinze ans, nous serons tous morts, il n’y aura plus personne ici... Que veut le gouvernement ? Que nous disparaissions plus vite ? ». Tristesse, déception et détresse se lisent dans le regard de ce Chibani (terme désignant respectueusement un ancien), habitant près de Belsunce à Marseille, et qui devrait couler une retraite heureuse. Débarqué en France, puisqu’ « on » était venu le chercher, apte qu’il était - après visite médicale - à (re)construire le pays, il y a travaillé plus de trente-cinq ans. Dans les mines, dans le bâtiment. « J’ai toujours cotisé, déclaré et payé mes impôts en temps et en heure, je n’ai jamais eu d’ennuis avec la justice ou la police, je n’ai jamais contrevenu à la loi... Que pouvais-je faire de plus ? ». Il a récemment déposé une demande de nationalité française, toujours en cours. Aujourd’hui, il est atteint d’un cancer. « Heureusement », il bénéficie d’une chimiothérapie en France, traitement médical inaccessible en Algérie, faute d’une retraite suffisante. Mais ses droits, y compris à l’accès aux soins, comme ceux de bien d’autres, sont en passe d’être remis en cause...
Un « Rentrez chez vous ! » camouflé
Car l’ensemble des vieux travailleurs rencontrés - originaires du Maghreb, notamment d’Algérie - subissent les pires tracasseries administratives. Ils se voient refuser la délivrance de leur avis fiscal par les services des impôts de Marseille depuis plusieurs mois. De nombreuses femmes, les Chibanias, rencontrent le même problème. Elles sont veuves pour la plupart et ont parfois travaillé dur plusieurs décennies, vivant de ménages ou de menus travaux.
Si l’ordre donné aux agents de bloquer les déclarations d’impôts des désormais « indésirables » émane du directeur du Centre des impôts, M. Bovigny, celui-ci agirait semble-t-il sur injonction du ministre du Budget de l’époque, Nicolas Sarkozy. Une thèse que confirme le président de l’association Le Rouet à Cœur Ouvert, Michel Pirrotina : « On ne peut que voir la main du tandem Villepin-Sarkozy derrière cette décision ». Les raisons officielles invoquées : « lutter contre les abus » et les fraudes. La note ministérielle incriminée, en date du 23 juillet 2005, n’a été rendue publique que quatre mois plus tard, plongeant dans le flou et la circonspection près de 4 000 immigrés retraités. La plupart refusent d’y croire et attendent, espérant toujours recevoir l’avis d’imposition ou de non-imposition, véritable sésame social pour percevoir le minimum vieillesse et l’allocation logement. Des courriers de l’assurance maladie exigeant la production de cet avis pour obtenir une carte de sécurité sociale tendraient pourtant à prouver que les services ont communiqué entre eux…
La confiscation de cette attestation indispensable ressemble à s’y méprendre à un arrêté d’expulsion déguisé. D’abord expulsés de chez eux (immeubles laissés à l’abandon, hôtels meublés…) pour certains, du fait de la « réhabilitation » du centre ville et du secteur du Rouet, ils sont désormais « invités », incités par l’absence de ressources, à quitter le territoire français. A « rentrer chez eux » en somme.
Anne-Aurélie Morell / Med In Marseille