
Ce que la politique de la ville ne voit pas

Et si la politique de la ville n’était qu’un vaste échec ? Chaque année les juges de la Cour des comptes, bilan chiffré à l’appui, montrent combien elle est inefficace, coûteuse et peu à même de transformer la situation des quartiers. La dispersion des moyens, le mille feuilles des dispositifs, la difficile coordination entre les acteurs, l’étendue des zonages… Ou comment une politique publique née sous l’impulsion du rapport Dubebout en 1983, est devenue le tonneau des Danaïdes de la République, sans parvenir à appréhender et mobiliser la richesse humaine des quartiers.
Chaque gouvernement essaie d’inventer la nouvelle formule pour redonner un cap à cette mission pantelante dont le budget reflue année après année. Jean-Louis Borloo, s’essaiera à la rénovation urbaine pensant que les classes moyennes succomberaient au charme nouveau des grands ensembles. Depuis, les blocs même « résidentialisés » attendent toujours la mixité sociale... Fadéla Amara prônera une interministérialité combative voulant que chaque ministère mobilise ses deniers pour les CUCS et leurs 8 millions d’habitants. Le combat n’a même pas eu lieu, le plan Marshall est devenu une dynamique espoir – banlieue et vers la fin un modeste « plan anti-glandouille ». Le nouveau gouvernement est pour le moment dans la concertation avec une réflexion sur le zonage et la nécessité de mobiliser les autres ministères sur cette politique qui peine à faire consensus au-delà des élus locaux et des associations qui ne savent que trop les difficultés à venir si cette béquille imparfaite venait à disparaître.
S’il est trop tôt pour critiquer l’action de François Lamy, il y a lieu cependant d’être vigilant sur la rhétorique de l’égalité des territoires. Dans un contexte de crise budgétaire inédite, la sémantique pourrait être propice à faire disparaître la politique de ville pour un traitement en surplomb embrassant les centre-villes, les périphéries urbaines, le monde rural et ces zones pavillonnaires qui incarnent désormais le malaise de la tant redoutée classe moyenne. Ces fractures françaises qui semblent pendre le relais de la fracture sociale dans la classe politique, si elles pointent les inégalités entre les espaces, sous-entendent également une concurrence dans l’accès aux aides des pouvoirs publics. C’est probablement cette tension qui traverse aujourd’hui le gouvernement : reconfigurer une politique d’aménagement avec des moyens qui font défaut pour assurer l’équité des moyens sur tous les territoires.
Les moyens de la politique de la ville ont toujours été sur la sellette et ont malheureusement toujours été mal évalués. Car la politique de la ville est riche, immensément riche. Elle est riche de ses acteurs qui n’ont pas attendu les CUCS et les dispositifs pour se retrousser les manches. Ils s’appellent Corinne, Zouina, Abdelaziz et conduisent parfois depuis des décennies des initiatives avec pour seuls carburants l’abnégation et la nécessité. Cette richesse, c’est aussi celle des praticiens, ces chefs de projets, ces associatifs, ces coordonnateurs et ces adultes relais qui vont au front de toutes les difficultés avec peu de moyens mais suffisamment d’imagination pour créer les cases et les ressources là où elles n’existent pas. C’est enfin celle de ses habitants qui par ces solidarités du quotidien et ces envies d’agir, sont autant de pare-chocs aux difficultés. Cette richesse là, la Cour des comptes n’en parlera jamais. Elle est bien trop souvent évacuée pour ne laisser entrevoir que ces dépenses somptuaires au profit de consultants dont les honoraires insultent les subventions accordées aux associations locales.
Le renouvellement de la politique de la ville ne saurait se contenter d’une reconfiguration de la Datar en vaste plateforme de l’aménagement des territoires. A quand une prise en compte de l’expertise des habitants dans la conduite de la politique de la ville ? Le changement c’est bientôt ou maintenant ?
Farid Mebarki
Président de Presse & Cité