Business : le 21è siècle sera-t-il celui de la démocratisation du cinéma ? (1ère partie)

Le 21-06-2013
Par Erwan Ruty

Nouvelles caméras numériques. Financement participatif. Diffusion par les plate-forme participatives, vers de nouveaux supports de communication… autant de révolutions qui ébranlent le cinéma de papa. Mais cela signifie-t-il pour autant que les nouvelles générations ont pris le pouvoir dans un milieu si nombrilo-parisianiste ? Rien n’est moins sûr…

 
On pense tout de suite à deux films qui ont défrayé la chronique de 2011-2012 : « Donoma », de Djinn Carrenard, et « Rengaine », de Rachid Djaïdani. Les deux ont été faits avec les moyens du bord. Films venus de la marge, qui se sont incrustés dans le milieu du cinéma comme par effraction, et qui ont bien braqué la critique, c’est un fait. 
 

Cinéma à l’arrache fera-t-il des émules ?

Mais les mêmes films, quelles que soient leurs qualités, et l’opiniâtreté de ceux qui les ont portés à bout de bras pendant des années, avec une énergie et une créativité inouïes, laissent néanmoins un goût amer. Ainsi, pour Safia Lebdi, turbulente élue EELV à la région Île-de-France et qui y préside la Commission du film, « Djaïdani, ok, quel courage, mais dix ans pour faire un film, j'ai pas envie de vendre cet exemple dans les lycées ! Tout s'est fait à l'arrache, sans cadre, sans code du travail, donc il n'a pas été financé, d'abord. C'est après qu'il est rentré dans le système. Les 500 000 euros qu'il a eus, ce n'est pas lui qui en a bénéficié, mais la productrice, qui connaît tout le monde, qui n'a pas de problèmes, qui défend dix projets par an et les fait quasi tous financer. » Jil Servant, producteur et réalisateur, actuellement replié en Guyane et responsable d’une petite société de production, Palaviré, n’est pas plus tendre : « Donoma n’a pas fait beaucoup d’émules. Comme Djaïdani. Leurs autres films seront sans doute mieux financés que les premiers. Mais communiquer en disant : « j’ai fait mon film avec 150 euros », c’est pas bien ! C’est pas vrai, et beaucoup de jeunes le croient, tentent de faire pareil et se pètent la gueule… Ceux qui sont les mieux financés resteront toujours les Cht’is, les Cannet, les Astérix…»
 
 
Aurélie Filippetti est prisonnière des lobbies traditionnels de la gauche

Le cinéma, d’abord un business

Safia Lebdi n’y va pas par quatre chemins : « Les producteurs font du business. En général, c'est des riches. Il y a beaucoup d'argent, mais un énorme entre-soi. Pour autant, il n'y a pas de racisme. Ils savent que les gens des quartiers vont dans les multiplexes. Qu'ils achètent des DVD. Canal + investit et diffuse depuis toujours dans cette culture ». Pourtant, au niveau institutionnel, ça ne semble pas suivre : « Le discours d’Aurélie Filippetti [ministre de la Culture], c'était de remettre de l'égalité dans les territoires, en matière de culture. Mais elle est prisonnière des lobbies traditionnels de la gauche qui sont tous revenus, ces troupes de théâtre qui touchent automatiquement des deux millions d'euros de l'Etat par an.... On n'est pas dans le ré-équilibrage en faveur des quartiers, mais dans l'accentuation du déséquilibre. Le seul projet culturel du Grand Paris, c'était l'Usine à films [portée par Michel Gondry, ainsi que la villa Médicis à Clichy-sous-bois, elle aussi abandonnée, ndlr]. L’Usine, c’est autofinancé, et ça fonctionne partout, à Sao Paulo, à Johannesbourg, à New York... il n'y a qu'ici que personne n'en veut, sauf la mairie d'Aubervilliers. Ici, en France, dans le cinéma, tout marche avec des lobbies et des syndicats qui n'en ont rien à faire des pauvres, sauf pour faire de films sur eux éventuellement. Quand on leur dit qu'ils vont devoir partager le gâteau en dix, ils ne veulent rien savoir : ils disent qu'ils ont créé des emplois, une industrie, et que si on y touche, ça va faire du chômage. Et du coup, les politiques ne font rien. » Voilà, ça, c’est fait : Safia Lebdi, ça fait mal et ça fait du bien.   
 
Ici, en France, dans le cinéma, tout marche avec des lobbies et des syndicats qui n'en ont rien à faire des pauvres, sauf pour faire de films sur eux éventuellement

Comment fonctionne la boutique cinéma 

Tout a-t-il toujours été aussi noir ? Pas forcément. « Par exemple, il y a eu une belle époque pour le documentaire, assure Jil Servant. Dans les années 80, les chaînes de télé explosent, il y a Arte etc… Aujourd’hui, c’est plus difficile. Il y a plus de jeunes qui peuvent se lancer avec de nouvelles caméras. Il y a environ 900 courts-métrages par an, souvent autoproduits, seuls une centaine avec le CNC et une télé. Et les films les mieux financés sont aussi les mieux diffusés. Là, il y a une sorte de plafond de verre : pour fiancer, il faut avoir un diffuseur… et les diffuseurs sont dans les jurys du CNC ! C’est un cercle vicieux, ou vertueux pour ceux qui touchent ! Arte, France 2 et Canal +, c’est eux les rois ! Ils se retrouvent même dans les commissions régionales ! Si ils disent non, ton film a peu de chance de se retrouver même dans les festivals ! Dans la production de court-métrage, par exemple, c’est environ dix boîtes qui vivent très bien, sur deux cent… Et en outre-mer, c’est encore plus difficile, même s’il y a un CNC local. Tous les financements sont à Paris. Mais les pires dérives françaises, c’est par rapport aux « fils de », ce qui a été très visible cette année aux Césars, avec les Higelin, Doillon, et après avec Bohringer. » Notre producteur d’outre-atlantique concède quand même que « la France, c’est le pays où il y a peut-être le plus d’argent pour faire des films : des aides, le statut d’intermittent… En Angleterre, en Belgique, en Italie, en Allemagne, on nous envie ». 
 
La Nouvelle vague voulait casser les règles et démocratiser, or on a abouti à un nouveau snobisme, un mépris du populaire

Besoin d’une nouvelle nouvelle vague ?

Après Studio Canal, Laurence Lascary, fondatrice de la société de production DACP, De l’autre côté du périph, a travaillé à New York, pour UniFrance, organisme en charge de l’exportation du cinéma français. Elle témoigne d’un autre regard : « Ici, je ne dirais pas que je rencontre des résistances. Peut-être un certain mépris, mêlé à de la condescendance, sur le mode : « elle n’y arrivera jamais, est-ce que quelqu’un va lui dire ? » Entreprendre fait peur, c’est pas dans notre culture ! A New York, monter sa boîte « c’est génial », ici « c’est risqué » ! Là-bas, il y a moins de hiérarchies qu’en France. Cependant, aujourd’hui, les films coûtent moins cher, l’argent est mieux dépensé. Avant, beaucoup était consacré aux mondanités. La Nouvelle vague voulait casser les règles et démocratiser, or on a abouti à un nouveau snobisme, un mépris du populaire. Ca a finalement recréé des codes. Djaïdani lui, a justement ce côté Cassavetes. Mais il y a maintenant une plus forte division entre les films low cost et les films avec stars. » 
 

 

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