
Bocar Niane, Saint-Ouen : « Les familles issues de l’immigration ne sont plus acquises à la gauche »

Dans le 93, comme à Bobigny, au Blanc-Mesnil face au PCF, et à Aulnay et Livry-Gargan face au PS, la droite l’a emporté. A Saint-Ouen : 44% d’abstentions. William Delannoy (divers droite) l’emporte face à la maire sortante, Jacqueline Rouillon (Front de gauche) dans une ville dirigée par le PCF depuis 1945. Retour sur ce bouleversement avec Bocar Niane, militant associatif.
Bocar Niane, de l’association an-Noor (« La Lumière ») active dans le sport (footsal), l’animation sociale et les projets de solidarité internationale, était présent sur une liste « Divers gauche » au premier tour. Il a une longue expérience du militantisme, et a en particulier monté l’Appel de 577 ainsi qu’un « Grenelle des quartiers » avant les élections présidentielles de 2012.
P&C : Comment expliquer une telle défaite dans une ville historiquement de gauche ?
BN : Il y a un ras-le-bol d’un certain clientélisme. On vous présente le spectre de la droite… et les électeurs finissent par dire : « On voudrait bien voir ». Après tout, Lagarde [UDI] fait 75% au premier tour à Drancy [avec 50% d’abstentions, NDLR] ! On a des amis qui vivent dans des villes de droite de Seine-Saint-Denis, qui nous disent : « on avait peur au départ, et puis… » Les familles issues de l’immigration ne sont plus acquises à la gauche, et l’attachement à la gauche s’étiole globalement. Certains sont même passés sur des listes de droite, notamment à Bobigny, alors qu’ils étaient sur des listes « citoyennes » avant [d’anciens responsables de la liste Emergence de 2008 ainsi que de la liste de l’Union des démocrates musulmans de France y ont en effet rejoint la liste de droite avant le premier tour, NDLR]. Moi, j’ai 34 ans, et je vois qu’avant, il y avait beaucoup d’activités, des centres sociaux, des centres de santé qui marchaient, il y a avait des éducateurs, les élus étaient dans la rue… A ma génération, les gens autour de moi ne viraient pas dans la délinquance. La ville a périclité. Une page Facebook fait fureur : « Si tu es de Saint-Ouen », qui raconte toutes les anecdotes qui peuvent t’arriver à Saint-Ouen…
P&C : Les habitants ont-ils l’impression qu’il y a encore une différence entre les politiques municipales de droite et de gauche ?
BN : Il n’y a plus de confiance en la politique, les gens sont convaincus que ce ne sont pas les politiques qui résoudront leurs problèmes. Ceux qui vont aux urnes sont les classes moyennes. Et pour ce qui est des listes alternatives, avec des responsables associatifs, elles n’ont pas la possibilité de discuter d’égal à égal comme les partis, quand les politiques ont besoin de leurs voix. Tu es une variable dans ton microcosme. Et puis les électeurs, ce n’est parce qu’ils connaissent les gens qu’ils votent pour eux. Ils disent surtout : « qu’est-ce que tu pourras faire pour le logement, pour l’emploi, les subventions… ? »
P&C : Comment recréer de l’envie de s’intéresser à la politique ?
BN : C’est évident que vu les taux d’abstention astronomiques, in fine, vous représentez quoi sur le territoire une fois que vous êtes élu ? Pourtant, les gens ont envie d’êtres acteurs dans la culture, sur les questions d’emploi. Si vous travaillez à une régularisation des charges, tout le monde se mobilisera, comme à Sevran, avec un peu de community organising. Aux réunions de parents d’élèves aussi, sur les rythmes scolaires, les gens viennent : ils s’interrogent sur l’avenir de leurs enfants. Dans les speed datings politiques, comme on a fait à Noisy-le-sec avec Cités en mouvements, les gens viennent. Alors que dans les réunions politiques, il n’y a que les fans, c’est des gens du sérail…