
Bataille pour un toit

En 2012, la première loi pour le logement social fêtait ses cent ans. 11 millions de personnes étaient concernées en France… pour 16 milliards d’euros de budget pour l’union des HLM. Le tout au moment d’une boboïsation des quartiers populaires (à Paris et proche banlieue comme à Marseille), qui exclut les plus modestes là où la rénovation urbaine devrait profiter à la « mixité sociale ».
Le logement, un enjeu inouï, à l’origine de la crise, que l’on soit aux Etats-Unis (crise des subprimes) ou en Espagne (effondrement du marché de l’immobilier et, conséquemment, des banques). En France (et Belgique), la banque Dexia, qui finance le logement social, passée à deux doigt du crash, est en pleine restructuration. Et nous, dans tout ça ? On est en bout de chaîne : près de 700 000 personnes sans logement personnel. Plus de 2,7 millions de mal logés, selon le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre.
Champ de bataille ou champ de ruines ?
Avec un objectif fixé à 500 000 par an par le gouvernement (dont 150 000 logements sociaux), on est très loin de la réalité observable des constructions depuis des années. Cession de terrains publics, incitations fiscales à la construction par le secteur privé, taxe sur les logements vacants, relèvement du plafond du Livret A (principal source de financement du logement social en France), pénibles tentatives d’encadrement des loyers (loi Duflot), politique de préemption des logements vacants par les pouvoirs publics (à la peine), volonté de revaloriser les aides au logement, augmentation de la loi SRU de 20 à 25% de logements sociaux dans les communes de plus de 3500 habitants (d’ici… 2025), refonte des procédures d’attribution de logement... La politique du logement ressemble furieusement à un champ de bataille. Mais il y a du mieux : elle ressemblait naguère, au début du programme de rénovation urbaine (PNRU), à un champ de ruines. Un programme, dans les quartiers, qui aura tout de même permis, en près de dix ans (2004 – 2013), de rénover ou construire plus de 950 000 logements dans 485 quartiers, à coup de milliards (près de 12 milliards d’euros de financement, et 43 milliards de travaux). Avant de voir un PNRU - acte II s’esquisser dans les limbes gouvernementales…
Ambiance
Mais ce combat se déroule dans une ambiance globale peu propice, au-delà même des tours de vis budgétaires systématiques dans tous les pays d’Occident (sans parler des autres) : comment inciter sérieusement des investisseurs, pour des prêts à la construction qui s’échelonnent sur 50 ou 60 ans, quand le court-termisme des marchés incite à la prédation immédiate plus qu’à la gestion du bon père de famille ? Tout cela paraît sans doute bien lointain, voire inaccessible, à tous ceux qui pensent surtout à joindre les deux bouts en fin de mois, à éviter l’expulsion (12 000 en France en 2012), à déménager en espérant mieux ; ou qui attendent avec la boule au ventre l’ouverture d’un nouveau courrier de leur propriétaire leur annonçant l’augmentation de leur loyer... Pour tous ceux-là, qui consacrent 40% de leur revenu pour se loger (ils sont un français sur cinq dans ce cas), qu’en est-il ? C’est justement ce sur quoi il faut à l’avenir se pencher.
Une revanche de l’humain sur l’urbain ?
Car le « haut » ne décidera sans doute plus tout seul, dorénavant. Heureusement, les ministères eux-mêmes en sont conscients : celui de la ville a décidé de favoriser la participation des habitants (le « bas »), et même commandité un rapport allant dans ce sens à Mohamed Mechmache, d’Ac ! Lefeu, et à la sociologue Marie-Hélène Bacqué. C’est que bon nombre de chercheurs parlent dorénavant de « community organizing », au plus près des tours, en bas d’immeuble. Peut-être ainsi s’apercevront-ils que, depuis des années, des associations de quartier se bagarrent pour que leur habitat, leur quartier, ne soit pas seulement objet de l’attention (intéressée) des architectes, des urbanistes et des cabinets de consultants en rénovation urbaine et concertation. Les quartiers peuvent aussi être transformés par la volonté active des habitants. C’est justement ce que donne à voir notre dossier : au Petit-Bard (Montpellier), ou à Sevran (93), on y voit se développer des actions pour renégocier les charges ou tenter de rediscuter les projets d’urbanisme. L’humain serait-il en train de prendre sa revanche sur l’urbain ? Difficile d’opposer les deux, c’est aussi ce que veulent montrer des initiatives culturelles (courts-métrages, webdocumentaires…), qui se multiplient pour donner à entendre la parole de ceux qui peuplent et « remplissent de vie les murs de la cité », comme le dit l’un des réalisateurs et habitant de HLM.
La nouvelle fracture urbaine n’est pas prête de se résorber, quand bien même on ne peut pas dire que les politiques restent les bras croisés. Mais ont-ils vraiment encore tous les outils et leviers d’action, comme c’était le cas à l’époque de la planification et de la croissance, sous une forte pression populaire et d’organisation politiques contestataires, quand sont nés tous les grands programmes de logement, entre les années 30 et 60 ? Car la réalité est bien là, cruelle : en dix ans, les loyers ont augmenté de 47% et le prix du mètre carré a doublé…