
Banlieues sur la carte des territoires

Et le big-bang territorial vint. Depuis des décennies, tout ce que la France compte de hauts fonctionnaires, de politiques et d’adeptes de la rigueur, réclame la remise à plat de la carte des territoires. Avec ses 36 000 communes, ses régions trop petites pour rivaliser avec les länder allemands et ses ZRR, ZUS ou ZEP, l’hexagone est un copieux couscous incompatible avec la diète budgétaire en cours.
Sur la carte, le projet du Président de la République reste l’une de ces synthèses prévisibles dont il est coutumier ; le résultat d’un exercice de compactage qui pourrait potentiellement être favorable aux baronnies de gauche. Puisqu’il faut juste changer d’échelle, ni l’histoire, ni l’anthropologie ne seront d’un grand recours. Point de Neustrie, de Septimanie, de Duché de Toulouse ou d’espaces linguistiques ressuscitant les langues régionales. Le Nord n’envisage pas la Picardie qui se refuse à la Champagne-Ardenne, la Bretagne ne verra pas Nantes rejoindre son giron, et l’Île-de-France, encerclée par ses banlieues, corsetée par ses RER et ses TER, n’a pas saisi l’opportunité de ce redécoupage pour mettre en œuvre le rêve sarkozien d’une région capitale débutant au port du Havre.
Manque de souffle
Cette réforme manque de souffle et ne semble guidée que par le souci de créer des supers provinces pouvant absorber les politiques que l’Etat ne peut plus assumer et que le mille feuille territorial est incapable de mettre en œuvre sans davantage ponctionner le budget national. Elle est loin la logique centralisatrice qui en 1963, dans une France groggy par la perte de son empire colonial, avait fait naître les régions. Une logique où l’on lit facilement les peurs de cette République farouchement unitaire qui ne saurait tolérer de nouveaux féodaux et des identités territoriales fortes à même de la contester. C’est ainsi que naîtront les deux Normandie, une Bretagne amputée de Nantes, des Pays de la Loire noyant le péril vendéen ou une Alsace recroquevillée sur Strasbourg et Colmar.
LE Capital de l'autochtone de banlieue
Des entités fragiles, parfois artificielles, qui n’ont pas véritablement réussi à marquer les identités et à susciter, hormis quelques cas, de sentiment d’appartenance. Les sentiments d’appartenance se forgent ailleurs, dans les plis microscopiques de cet hexagone qui restera pour longtemps animé par cet esprit de clocher si utile lorsque les crises heurtent le corps social. Dans ces quartiers populaires qui ont récemment été l’objet d’un nouveau zonage, qui se soucie d’appartenir à une nouvelle région ou d’être en ZUS ? Qui y envisage ces nouveaux cadres, lorsque ces quartiers ne sont trop souvent même pas considérés comme partie prenante d’une commune ? Des espaces relégués dont les habitants vivant pour 36.5% en dessous du seuil pauvreté, regardant impuissants leur jeunesse s’abîmer dans les affres du chômage massif et qui, faisant l’objet d’anathèmes quotidiens dans le débat public, tirent le diable par la queue. Les prestations sociales n’y ont jamais suffit, et il est heureux que les solidarités de voisinage, les liens nés des luttes et l’entraide réelle, constituent encore le capital de l’autochtone. Sans cette ressource invisible propre à chaque quartier et qui crée ce sentiment fort d’appartenance, beaucoup de banlieues seraient en fusion. Croire que la seule politique de la ville et la seule redistribution permettent aux banlieues de se maintenir à flot dans un contexte d’accentuation de la crise et d’austérité budgétaire, est une bien belle fable que ne gobent que les décideurs politiques.
Des luttes de pouvoir loin du quotidien dEs HABITANTS
Cette réforme territoriale reste en contradiction avec cette volonté timide sinon fallacieuse de reconnaître la participation des habitants, et les coups de ciseaux de François Hollande sur la carte de France apparaissent bien décalés depuis les quartiers populaires. Ils pourraient cependant être rattrapés par cette nouvelle géographie administrative qui concentre les pouvoirs et déplace le terrain des luttes vers des sphères toujours moins en prise avec le quotidien des habitants. Le maire au moins pouvait toujours se situer, être interpellé et comme dernièrement être débarqué. Mais le président d’une super région aux compétences élargies… l’affaire devient subitement plus compliquée.
Dans un contexte où le FN est en position de force, il est fort probable que les mesures qu’il prendrait à la tête d’une telle entité ne s’arrêteraient pas à l’interdiction de la construction d’une Mosquée (Mantes-la-Ville), au refus de délivrance de certificats d’hébergement (Marseille 7ème secteur) ou à la fin de la mise à disposition de locaux aux associations progressistes (Hénin-Beaumont). Assurément, d’autres mesures beaucoup plus percutantes pourraient en toute légalité être prises… Le capital de l’autochtone sera-t-il alors en mesure de résister ?