Banlieues : to be or not to be Charlie, that’s the question

L'équipe et les invités du Bondy blog café le 13 janvier
Le 22-01-2015
Par Erwan Ruty

Atonie et sidération semblent les deux mamelles de la France des quartiers en ce mois de janvier 2015, quinze jours après les attentats anti-Charlie et antisémites. Premier épisode d’une enquête qui ausculte cette douloureuse réalité où les animateurs de quartier les mieux intentionnés peinent à répondre au désarroi de leurs proches, pris entre peur, sentiment d’exclusion et parfois… gêne.

 

Mardi 13 janvier, à Bondy, brasserie le Murat, place de la gare lors de l’enregistrement de l’émission Bondy Blog café (BBC). Plusieurs policiers en uniforme à l’extérieur. Plusieurs en civil et en armes à l’intérieur, qui fouillent spectateurs et intervenants. Plantu, Edwy Plenel (Mediapart) et Nacer Kettane (Beur FM) sont invités.



Bondy blog café : A-t-on le droit de poser toutes les questions sans se faire mal voir ?


Une semaine après la tuerie, on sent plus d’émotion que d’habitude sur le plateau, ici au-delà du fameux périph’ aussi. Les jeunes blogeurs sont pertinents, vifs, concernés par le drame. Conscients de l’ampleur de ce qu’il se passe, comme tout le monde, peut-être plus parce qu’ils sont un peu journalistes. Tout se passe bien. A la fin de l’émission, Gérard Leclerc, PDG de la chaîne LCP qui abrite le BBC, se demande comment il se fait qu’ils n’étaient pas plus nombreux venus des quartiers, à descendre dans la rue les 7 et 11 janvier. La réponse d’un bloggeur fuse : mais depuis quand les jeunes manifestent-ils ?! Reste que la question de Gérard Leclerc a choqué pas mal de personnes présentes qui sous cape, évoquent aussitôt la fameuse « stigmatisation ». Pourtant, si la réponse du bloggeur était pertinente, la question (que beaucoup de français se sont posée) ne méritait-elle pas d’être évoquée sans que celui qui la posait soit regardé de travers ?



Villiers-le-Bel : l’assistance se fige au mot « musulman »


A Villiers-le-bel, le 14 janvier, un spectacle se joue dans une maison de quartier des Carreaux. Une vingtaine de collégiens et quelques lycéennes sont dans le public, pour une pièce sur l’identité et l’altérité. Rien à voir avec l’actualité a priori, mais on me demande d’intervenir « parce que les jeunes auront sûrement des questions sur les médias, les représentations, sur les attentats, et tu sauras peut-être quoi dire… » Le spectacle est très fort, court et percutant, les jeunes spectateurs sont absorbés. Le débat est plus difficile, pas mal d’interrogations sur la manière dont on se définit, mais pas de question sur l’actu. Les intervenants testent le sujet pour voir comment ça réagit. Silence. L’assistance se fige même quand le mot « musulman » est prononcé. Mais personne ne répondra. Trop jeunes ? Trop intimidés ?



villepinte : « L’inaction rend complice »


Dimanche 18 janvier, l’association Zonzon 93 organise un débat avec une dizaine de lycéens, tous en Bac pro (sauf pour l’une d’entre eux). Une ancienne affiche de l’association trône : « L’inaction rend complice ». Ce slogan qui claque se rapporte en fait à la question de la violence qui endeuille parfois les quartiers, à ceux qui la subissent dans leur entourage, mais pointe aussi ceux des décideurs qui peinent à enrayer cette violence. Pourtant, jamais cette affiche n’a paru autant d’actualité. Après avoir très peu tourné autour du pot, la conversation s’engage dans une ambiance étrange : dans cette salle froide de Villepinte, dix jeunes métissés épiés par presque autant de journalistes blancs qui boivent chacun de leur propos. Tonalité dominante et même insistante : « Manifester, ça ne nous intéressait pas ».



nanterre : « Je ne suis pas que la banlieue  »


Deux des jeunes présents avaient envie d’aller à la manif mais leurs parents s’y sont opposés, par peur. Dans le débat, on entendra bien des « ils n’ont pas mérité leur mort », des « je ne connaissais pas Charlie », des «  il y a d’autres trucs plus graves dans le monde », des « les policiers sont morts pour nous protéger », des « il y a des amalgames avec les jeunes des cités comme nous » ; reste que globalement le « on ne se sentait pas à notre place » domine. L’animatrice, Laetitia Nonone, se désole d’un clivage global entre « eux » et « nous » (« eux » : « les parisiens », « les politiciens qui nous ont séparé », « l’élite », « la République », « ceux qui nous demandent pourquoi on n’est pas venus »…) : « J’ai été très touchée par ces attentats. Ca m’a fait du mal. Mais qu’est-ce qui nous attend, si on reste cloîtrés dans les quartiers ? Ca me fait mal d’entendre que d’aller à Paris ça nous fait peur. » Une sorte de fatalisme règne : « si ce n’est pas nous qui allons vers eux, ce n’est pas eux qui viendront vers nous » entend-on. Ou encore : « il faudra prouver encore plus de choses, encore plus travailler pour se faire accepter ». « Nous, on pense qu’on n’a rien à prouver, mais eux ils le pensent et ils le demandent tout le temps. »

Finalement, un slogan alternatif à « Je ne suis pas Charlie » émergera : « Je ne suis pas que la banlieue ». Et au fond, sans trop y croire, on lâche un « on espère qu’on s’intéressera enfin à nous ».

 

« Être français, ça sera encore plus compliqué maintenant ! »


Mardi soir 20 janvier, le local bondé de l’association Z’y va, au milieu des tours, des barres et des chantiers de rénovation du quartier des Pâquerettes, à Nanterre. Près de cent personnes. Comme plusieurs fois par an, l’association organise des rencontres, sans se laisser impressionner par l’actualité. Public de tous âges, tous styles, ambiance bon enfant. Edwy Plenel a fait faux bond juste avant le débat. Aziz Senni, l’entrepreneur mantois (et maintenant encarté UDI) ainsi qu’un sociologue, Norbert Alter, interviennent sur la thématique « Sonner l’alarme, comprendre, s’émanciper ». En fait, on parle surtout des parcours et des clefs de la réussite. Pourtant, rapidement, une impression fuse dans la salle : « Être français, ça sera encore plus compliqué maintenant ! » D’autant que, comme le fait remarquer une autre femme dans le public, « les médias nous ont volé notre opinion ».



« Faut-il préparer ses arrières ?  »


Le charismatique Aziz Senni, que son parcours rend serein, n’est pas naïf pour autant. D’autant que les signaux ne sont pas positifs. « La République est schizophrène : elle dit ne pas reconnaître les communautés mais nous somme de nous prononcer au nom de notre religion. On m’a demandé : Comment manage-t-on une entreprise quand on est musulman ? J’avais envie de répondre : Bon, c’est simple : on prie cinq fois par jour et si quelqu’un fait le café un jour de ramadan, on le fouette. Mais le pire est que c’est chez les banquiers que ça va le plus galérer. L’un d’eux qui gère trente enseignes, m’a demandé : Avez-vous acheté un bien immobilier à l’étranger ? Parce que ça ne va pas être facile pour votre communauté… Faut-il préparer ses arrières ? Je ne sais pas… » La présidente de l’association force une conclusion optimiste : « Je dis à ceux qui sont d’origine Arabe qu’il ne faut pas abandonner l’idéal républicain. Il ne faut pas perdre l’espoir, même s’il y a des failles. Je suis convaincue que je suis française, même si tout le monde ne l’est pas. »

 


 

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