
Aziz Lasri : « La droite a les fonds, nous avons l’électorat »

Tourcoing, Bobigny, Saint-Ouen, le Blanc Mesnil, Villejuif… beaucoup de villes naguère de gauche sont passées à droite lors des municipales de 2014. Et 2015 devrait voir le basculement du département du 93... Mais des citoyens des quartiers comme Aziz Lasri, qui milite dans l’opposition à Trappes (mairie PS, Yvelines) ne font-ils pas parti d’une génération plus pragmatique que vraiment de droite?
P&C : Les banlieues sont-elles en voie de droitisation ?
A. L. : Les banlieues ne sont pas passées à droite, il y a plutôt un brouillage. On se demande plutôt : qu’est-ce qu’on a à gagner au changement ? Dans les quartiers, on a connu les communistes, le Ps… les jeunes sont assez politisés, ils refusent le paternalisme de ces mairies qui noyautent les associations, ou ces dispositifs culturels qui ne te permettent pas de t’émanciper. Maintenant, la droite a les fonds, mais pas l’électorat. Elle a eu l’intelligence de s’allier au second tour avec une liste sans étiquette.
P&C : Quel est ton propre positionnement, à Trappes ?
A. L. : Je suis indépendant avant tout. Certaines de mes positions sont de droite, d’autres de gauche. Il faut d’abord prendre des mesures qui correspondent aux besoins de ta ville. Il faut par exemple sécuriser les commerçants qui veulent entreprendre en mettant des caméras de surveillance sur les grands axes. Pas n’importe où. Mais la police municipale, je suis contre. C’est un gouffre financier, qui ne correspond pas aux besoins des gens et aux horaires où il y a le plus de problèmes. Je suis aussi pour donner la main à des gens qui veulent avancer, s’en sortir. Mais on ne peut pas tout faire pour eux : les jeunes disent qu’ils ne trouvent pas de travail, mais j’ai demandé le Cv de certains au moment où j’avais du boulot, et j’attends toujours… Concernant ma ville, le maire a utilisé l’Anru au détriment des habitants : avant, il y avait 70% de logements sociaux contre 30% de propriétaires, maintenant, c’est 50-50… Il manque des logements sociaux. Et le coût des services a augmenté… De même concernant les Zfu, qui ont plus servi aux entreprises qu’aux habitants. Il faudrait absolument conditionner les dégrèvements de charges aux emplois créés ; et trouver un moyen pour que les entreprises qui construisent recrutent localement, que les cantines fassent travailler les maraîchers locaux, que les imprimeurs locaux soient favorisés dans les services publics etc.
P&C : D’où vient ce pragmatisme ? Les valeurs auraient-elles changé dans les quartiers populaires ?
A. L. : S’il y a une valorisation de l’entreprenariat individuel, c’est parce que beaucoup sont devenus entrepreneurs pour travailler, comme les entreprises leur fermaient les portes de l’emploi, tout comme celles des grandes écoles… ou alors parce qu’ils ne voulaient plus des conditions difficiles qu’ils subissaient quand ils étaient salariés. Quant aux valeurs, beaucoup de jeunes sont issus de familles classiques, souvent de familles nombreuses, avec un père, une mère. Sur le mariage homosexuel, je m’en moque, il y a toujours eu des homos, ce n’est pas en leur refusant de se marier que ça changera. Par contre, sur l’adoption, je suis contre, car cela modifie le format familial… il faudrait plus axer le débat sur la mono-parentalité dans les quartiers, car pour le développement de l’enfant, c’est compliqué… Pareil pour les « grands frères » : il n’y en a plus dans les quartiers. En tout cas, plus que l’on peut respecter : on ne peut respecter un « grand frère » que s’il a réussi, fait des études.
P&C : Sur quels thèmes peut-on alors mobiliser dans les quartiers ?
A. L. : Sur le « triangle de la politique de la ville » : travail, logement, école. J’ai voté Hollande en 2012, mais je ne le ferai plus tant qu’il n’aura pas fait un geste envers moi. Il y a encore un problème dans les quartiers pour voter à droite, et quand ça se fait, c’est parce qu’il y a eu fusion avec des listes indépendantes. Aux présidentielles, c’est très différent, c’est un vote d’élimination. Il peut y avoir des votes locaux différents des nationaux. Aux départementales, je pense que les gens ne voteront pas et que beaucoup de quartiers basculeront à droite ; comme aux régionales. Les listes indépendantes sont vraiment attendues, les gens votent de temps à autre à droite ou à gauche. Il y a une vraie conscientisation, dans le sens où on vote en fonction de ce qu’on va faire pour nous, pas en fonction d’habitudes.
P&C : Il n’y aurait donc plus de vote « de classe » ?
A. L. : Quand tu es riche, tu votes à droite. Beaucoup de jeunes sont devenus propriétaires. Tu as plus de charges, tu demandes de la sécurité, tu te dégages des priorités du « triangle » et te rapproches des idées que la droite défend. Moi, j’habite dans une résidence privée, l’argent vient de ma poche, je demande de la sécurité. Depuis que je suis propriétaire et au vu de ma situation personnelle et professionnelle, je ne suis pas corruptible politiquement ! Notre intérêt, c’est nos enfants, notre pays, pas nous-mêmes. L’objectif, c’est ton pays, pas ta carrière. Je suis pour un gouvernement d’union nationale comme en Allemagne, avec des vrais experts dans les ministères.