Avoir 20 ans dans les quartiers

Le 08-03-2013
Par Erwan Ruty

« Est-ce que nos enfants vivront mieux que nous ? » C’est ce doute, reconnaissait François Hollande lors de ses vœux à la jeunesse du 23 janvier, qui assaille bien des adultes. Et de préciser à quel point la jeunesse a besoin de repères, d’accompagnement. Or les adultes ont peur de la jeunesse. 

 
Certes, pas de toute la jeunesse : selon le dernier rapport de l’Observatoire de la jeunesse solidaire, six Français sur dix ont une image négative de la jeunesse des quartiers populaires (alors qu’ils sont deux sur dix à avoir une image négative de la jeunesse dans son ensemble…) A ce titre, on pourra juger qu’il était de bon ton pour le président de présenter ses vœux à la jeunesse à Grenoble, là même où Nicolas Sarkozy, deux ans plus tôt, avait opéré son « tournant sécuritaire », en « déclarant la guerre aux trafiquants et délinquants ». Bien des jeunes s’étaient sentis concernés… Il faut dire que les banlieues de Grenoble avaient connu quelques faits divers sanglants, notamment en 2010 et 2012. 
Et que bien souvent, depuis novembre 2005, dans une France « fatiguée psychiquement », le « jeune », et surtout le « jeune de banlieue », charrie une flopée de sentiments confus : rap, délinquant, émeutes, basanés… Et donc : alerte, danger !
 
Pourtant, qui connaît vraiment le quotidien de cette jeunesse, au-delà des clichés ? Qui sait à quel point elle tient le mur de la cité ? Navigue à l’aveuglette en zone de turbulences universitaires ? Touche le plafond de verre de stage en stage ? Esquive l’intérim pour tomber dans le temps partiel ? Part prendre l’air du pays sans savoir si le pays rêvé correspond au pays réel ? Sort en boîte s’éclater ou touche le fond du canapé ? Se marrie pour exister, aime pour vivre, sprinte pour fuir ou pour arriver plus loin plus vite ? S’engage un peu, beaucoup ou passionnément ? Kiffe le mic’ pour tomber les meufs ou surfer la vibe !?
 
Mais pas de démagogie : les jeunes, ce sont les vieux qui en parlent souvent le mieux. 
Ainsi, il y a quelques années, un journaliste interrogeait quelques anciens jeunes* : 
« Vous dîtes souvent que le propre de la génération de vos parents, c’était de courber l’échine. Quel est le propre de votre génération ?
Jamel Debbouze : Lever l’échine.
Journaliste : Et de la nouvelle génération ?
Jamel Debbouze : Brûler l’échine.
Roschdy Zem : Et le jour où l’échine s’éveillera… »
 
La jeunesse est un déracinement, et ce déracinement peut faire mal, être vécu comme une lutte, une fête permanente, ou encore (plus rarement) une promenade de campagne. Ce déracinement produit aussi de la créativité culturelle, de l’énergie sportive, de l’innovation sociale, de l’engagement politique, de la faim de biz. Bref, de la création de richesse ; et du dynamisme. C’est là, dans les entrailles bouillonnantes de la jeunesse des quartiers qui crie « si ! » quand on lui dit « non ! », que se forge l’avenir de toute la société française. 
 
Mais quand des adultes trop dévalorisés n’osent pas dialoguer avec elle pour la guider… rien ne va plus. 100 00 emplois d’avenir, un RSA jeune et des contrats de génération y suffiront-ils ? Rien n’est moins sûr. Car le jour où l’échine s’éveillera…
 
*Entretien paru dans le Nouvel Obs le 28 septembre 2006

Participez à la réunion de rédaction ! Abonnez-vous pour recevoir nos éditions, participer aux choix des prochains dossiers, commenter, partager,...