Alain Vulbeau : « La France est un pays qui a peur de sa jeunesse »

Le 18-02-2013
Par Chloé Juhel

Alain Vulbeau est Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris Ouest. Il est aussi responsable de l’équipe de recherche « Crise, École, Terrains sensibles ». Il travaille depuis une trentaine d'années sur les thèmes de la jeunesse, de la ville et des politiques sociales et territoriales. Pour lui, l’emploi du mot « jeune » dans les medias revêt toujours un caractère politique.

 

JOB : En quoi les jeunes des quartiers sont différents du reste des jeunes en France ?
 
AV : Sociologiquement, il n’y a pas tant de différences que cela. A part peut-être le critère des diplômes. Dans les quartiers, le niveau de diplômés est plus faible qu’ailleurs. C’est sur le plan des représentations que tout se joue. Il est d’abord important de définir ce que l’on entend par « jeune ». On a du mal avec le langage parfois. Et je m’inclue dans ce « on ». Personne ne sait comment les appeler : les enfants de la deuxième génération d’immigrés, les Français d’origine je ne sais quoi... etc. On a eu du mal à les nommer mais cela ne nous empêche pas de les enfermer. Les programmes d’aide et d’accompagnement qui leur sont destinés le font souvent à partir de certaines représentations. On propose aux jeunes des quartiers des ateliers rap/slam assez systématiquement. Cela permet de les valoriser certes mais aussi et surtout de les enfermer. Au même titre que ça en gêne certains de voir quelqu’un comme Joey Starr jouer un policier sur grand écran...
 
 
JOB : Quels sont les clichés qui collent à la peau des jeunes des quartiers ?
 
AV : Il y a d’abord cette façon systématique de les renvoyer à leurs origines. Ensuite, vient très vite la question du look. Il y a des moments où ça se cristallise autour d’une certaine panoplie. Dans les  années 80, il y avait le « jeune à casquette ». Dans les années 90-2000, c’était plus le « jeune à capuche ou à cagoule ». A chaque époque, sa panoplie. Il est aussi intéressant de s’arrêter sur la silhouette de ces jeunes qui est retranscrite dans les medias. Le visage est très souvent flouté, la voix samplée. Ce qui me fait penser aux mauvais rôles dans les films d’horreur. Les jeunes sont des vampires, en quelque sorte.
 
 
JOB : En terme de cliché, quel est celui qui vous a le plus choqué ?
 
AV : Parfois, on n’est pas loin du domaine de l’absurde. J’ai découvert un stage organisé par une mission locale dans le 93 qui avait pour but de faire perdre leur accent aux jeunes du quartier. Je n’accuse personne en disant cela mais il y a tout un travail de réflexion à engager auprès des organismes qui mettent en place et valident ce type d’intervention. On a trop souvent tendance à penser que ces jeunes des quartiers ne sont pas « comme il faut ». 
 
 
JOB : Vous vous arrêtez sur l’emploi de la notion d’incivilité...
 
AV : Le terme « jeune » est synonyme de malaise, de problème voire même parfois de criminalité ou tout du moins de délinquance. L’emploi de la notion d’ « incivilité » est, à cet égard, aussi révélateur. Ce terme n’a pas vraiment de contenu. Il s’agit d’actions qui peuvent être ressenties comme des troubles à l’ordre public, comme des menaces. Ce sont des comportements jugés trop bruyants ou exagérés, des façons d’être. Ce ne sont en aucun cas des délits punis par le code pénal. Certains préfets s’étaient vus confier la mission de dresser la liste des incivilités. On y retrouvait alors les grimaces ! Derrière cette notion d’incivilité, c’est la personne elle-même qui est critiquée. Et il y a cette idée de dynamique, de pente glissante qui mène tout droit à la délinquance. Ces jeunes seraient condamnés à déraper, à être délinquants. Il existerait donc des prédispositions, du fait du territoire où l’on vit, du fait du vêtement que l’on porte, du fait de certaines origines.
 
 
JOB : Y a t’il une évolution de ces clichés dans le temps ?
 
AV : La France est un pays qui a peur de sa jeunesse. C’est d’autant plus vrai en période de crise. Il existe une fascination vis-à-vis de cette image négative des jeunes. Ils sont perçus comme un ennemi social. Au début des années 2000, en pleine campagne présidentielle, il y a eu tout ce débat sur la présence de ces jeunes en bas des tours. C’était une activité quasie-criminelle que de passer du temps dans ces halls d’immeuble. Et ce n’est pas l’apanage de la droite que de tenir ce type de propos. Au contraire, la gauche en parlait déjà entre 1997 et 2002. On se souvient du discours de Lionel Jospin en 2001 : il promettait de "donner à la banlieue un nouveau visage".
 
 
JOB : Pourquoi les medias considèrent étrangement que tous les habitants des quartiers sont jeunes ?
 
AV : Il existe effectivement, dans les medias, une très grande imprécision sur cette question. En banlieue, on peut être jeune jusqu’à 50 ans ! Ce qui peut être perçu comme une bonne nouvelle, histoire de plaisanter. Mais il est intéressant de voir ce qui se cache derrière cette idée très répandue. La catégorie de l’âge devient une façon de déterminer la personne. C’est politique. Cela revient à dire que cette catégorie de population, dîte jeune, rencontre les difficultés propres aux jeunes, en général : des difficultés pour s’insérer sur le marché de l’emploi ou à trouver un logement. S’ils ont des problèmes, c’est parce qu’ils sont jeunes. Et s’ils sont jeunes, il y aura forcément des problèmes. C’est un cercle vicieux. Il faut impérativement en sortir.
 
 
Propos recueillis par Chloé Juhel
 
 
Dernière publication de Alain Vulbeau: 
« L’éducation tout au long de la ville », revue Spécificités, n°3, 2011
 
 

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