Agence Ak-a : l'émergence du marketing ethnique

Le 09-04-2013
Par Charly Célinain

Une crème hydratante spéciale peau noire, du maquillage adapté aux différentes teintes de peau, des articles que nous sommes habitués à voir dans les rayons de nos magasins. Pourtant, ne serait-ce que dix ans auparavant, la présence de tels produits était moins évidente. Depuis quelques années, les agences de marketing ethnique participent à la diversification des produits.

 
L'agence Ak-a est le fruit de l'obstination de Gwladys Mandin, la sœur de Didier (lui-même directeur associé), et d'Olivier. C'est lorsque qu'ils faisaient leurs études en Marketing et Stratégie que les deux amis ont eu l'idée de cette entreprise. A la recherche de locaux, le duo trouve refuge chez Didier, trader à l'époque, qui « rentrait tard » chez lui. « Jusqu'au moment où je me suis mis à 100% dans la boîte. Je vivais là où je travaillais, c'était plus glauque le soir » se remémore l'ex-trader.
 

« Quoi ? Marketing quoi ? »

Restait à trouver un nom. Gwladys et Olivier l'ont ramené des Etats-Unis : « En parlant de leur projet, un professeur universitaire leur disait : « C'est un peu comme l'afro caribbean awareness »; en français, ça faisait un peu pompeux, « conscience afro... », nous nous sommes dit que nous allions mettre un « k » à la place du « c » [ce qui donne Afro Karibbean Awareness, AK-A, ndlr] et que ça irait ». Trader le jour, « invité dans des restos étoilés », Didier devenait enquêteur le soir, arpentant les rues pour remplir des questionnaires. Egalement chargé de faire parler du travail effectué, les débuts furent compliqués : « Au début, au téléphone les gens me disaient « Quoi ? Marketing quoi ? sans intérêt ». Le premier mois, je me suis dit « ça va être compliqué » ». Jusqu'au jour où la roue a tourné : « Après quelques mois, Métro a parlé de nous, Libération, BFM... Fin 2006, nous avions les premiers retours » confie Didier Mandin. Aujourd'hui, l'agence dispose d'un panel en ligne, où les gens peuvent s'inscrire pour participer à des études, cependant le travail de terrain reste prépondérant. 
 
Le budget mensuel pour les femmes afro en terme de produits capillaires est cinq à six fois plus élevé que les autres

Les grandes marques se rendent à l'évidence

Les grandes enseignes ont longtemps minimisé les besoins spécifiques des minorités : « Certaines marques prenaient un produit, qu'elles avaient dans leur gamme, dont elles pensaient que ça pourrait être adapté aux cheveux ou à la peau afro. Mais les consommatrices sont très conscientes de leurs besoins. Elles sont très expertes, parce qu'elles ont été beaucoup déçues » précise Didier Mandin. Ce dernier indique également que l'argument économique est pour beaucoup dans la prise de conscience des grandes marques : « Le budget mensuel pour les femmes afro en terme de produits capillaires est cinq à six fois plus élevé que les autres. Les marques sont forcément intéressées mais il ne faut pas s'en occuper en faisant n'importe quoi. Ca ne peut pas être juste un marché d'opportunistes ». De nombreuses marques s'engouffrent dans la brèche : « Depuis trois, quatre ans, les marques s'y mettent vraiment. L'Oreal, Garnier font beaucoup de choses. Mais aussi des marques comme Black up, qui ont « l'ethnique dans leur ADN », ou la marque Phytospécific, portée par Kathy Jean-Louis ». Le marché semble donc en expansion et Ak-a en est un acteur important.
 

Différences objectives

Pour investir le marché français, Ak-a a dû « adapter » ce concept de marketing ethnique : « Le marketing ethnique est plus puissant sur les différences qui sont selon nous objectives. Objectivement, le cheveu afro est différent du cheveu caucasien, il a des besoins différents ». Avec cette démarche, l'agence a donc acquis une expertise dont elle fait profiter de nombreuses entreprises : « Je ne vais pas citer de marque, mais on travaille avec des grands groupes..., et avec des marques plus petites. Nous aidons aussi les porteurs de projet, on peut citer le restaurant Nilaja par exemple » nous dit Didier Mandin. Ak-a travaille également avec des entreprises dont la nature nécessite une communication ciblée : « Un de nos plus gros client, est Caresse Antillaise, spécialiste des jus de fruits. On a positionné la marque d'un point de vue « ethnique », puis on l’a ouvert à un public plus large. ». La marque antillaise implantée depuis des décennies aux Antilles voulait savoir si le marché métropolitain était intéressant, et c’est ainsi que le rapprochement s’est opéré avec AK-A.
 

Marché de niche

En France, le terme ethnique est souvent pris dans son sens négatif : « Parfois, dans la communauté, le terme ethnique peut être pris avec des pincettes. Dans le business, on se comprend parfaitement, il n'y a pas de problèmes avec ce terme. L'idée, c'est de voir s'il y a des liens entre les origines et la façon dont ils consomment, l'impact de leurs origines sur leur consommation ». Un critère objectif qui ne suffit pas à étouffer certains a priori, selon Didier Mandin : « Je sais qu'en France il y a un grand fantasme : il y aurait des « invasions » de gens d'origine étrangère. Faut pas se voiler la face, c'est un marché de niche ». Sur ce marché réduit, les nouveaux venus ont du mal à se faire une place. Toutefois, ces derniers pourront peut-être tenter leur chance auprès des institutions, un domaine dans lequel Ak-a ne semble pas prêt de s'engager : « De façon générale, nous n'allons pas nous lancer dans des trucs qui pourraient servir des intérêts politiques un peu bizarres. Nous sommes assez méfiants, « c'est touchy ». Nous sommes vraiment axés sur la consommation »
 

Combattre les idées reçues

Les statistiques sont également un bon moyen de faire reculer certains lieux communs : « Il faut déconstruire l'imaginaire des gens. Oui, il y a beaucoup de populations afro dans les quartiers comme Strasbourg-Saint-Denis ou Gare du nord, mais il y en a aussi, qui ont des jobs à La Défense. Si tu penses que la population afro c'est Saint-Denis et que les maghrebins c'est Barbès, tu te gourres ! » note Didier Mandin. Ce dernier précise également que si certains stéréotypes persistent, d'autres facteurs entrent en jeu. C'est le cas de la consommation de poulet par la communauté noire, par exemple : « C'est culturel. Ca ne signifie pas que dans leurs gènes, il soit écrit « t'aime le poulet ». Dans les pays d'où l'on vient [Aux antilles et en Afrique, ndlr], il n'y a pas forcément beaucoup de viande de boeuf, de lapin...ou de cheval roumain ! ». 
 

Communication subjective ?

Si aux Etats-Unis, le marketing ethnique est une évidence depuis de nombreuses années, en France c'est encore un sujet sensible de communiquer explicitement selon les différentes origines : « En France, on n'est pas aux Etats-Unis. C'est compliqué de faire du marketing ethnique sur des différences subjectives… » Un concept de « différences subjectives » qui reste d’ailleurs à expliciter. Quant à la stricte communication faite autour de tous les produits de consommation, Didier Mandin fait remarquer : « Ford a une communication adaptée selon qu'ils s'adressent aux afro-américains, aux latinos etc. En France, c'est pas demain la veille que ça se fera ! » Aujourd'hui, l'agence est très sollicitée, preuve du changement de mentalité des entreprises françaises.
 
Très axé sur la communauté antillaise et africaine sub-saharienne, Ak-a travaille également sur d'autres populations : « La communauté maghrébine aussi est importante. Forcément, on pense au halal sur l'agro-alimentaire, mais ça concerne aussi la cosmétique. Nous sommes un peu moins sollicités sur cette communauté-là ». C'est peut-être par le marketing ethnique, en se confrontant aux différences spécifiques des membres des différentes communautés, que la France va enfin accepter le fait qu'elle est plurielle.
 

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