
Abstentionnisme, populisme, radicalisme… la France doute, les quartiers re-doutent

« L’extrême-droite et Marine Le Pen sont aux portes du pouvoir » déclarait le Premier ministre Manuel Valls le 7 septembre dernier, suite à un sondage donnant la leader FN en tête des intentions de vote au cas où les élections présidentielles auraient lieu à cette date. Le parti d’extrême-droite était arrivé en France, en tête des élections européennes de 2014. La banalisation est réelle.
Et pas seulement en France, mais aussi presque partout en Europe, où les mouvements populistes, identitaires et régionalistes sont devenues les premières forces à mêmes de créer une alternative au régime actuel. En Grèce avec Aube Dorée, en Italie indirectement avec le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, en Angleterre avec Ukip de Nigel Farage, au Danemark où le Parti du peuple danois arrivait aussi en tête des européennes (26,7%), en Suède avec la percée d’un nouveau parti d’extrême-droite, en Autriche avec le FPÖ, en Belgique avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition où figurent les autonomistes Flamands, en Espagne avec la poussée catalane ou en Grande-Bretagne avec les écossais (comme en Corse et en Bretagne avec la progression des tendances régionalistes), et avec les scores en dent de scie des populistes de Gert Wilders aux Pays-Bas. Sans parler des référendums suisse allant dans le même sens…
Certes, lors des diverses élections, l’abstentionnisme reste le premier parti de France, selon la formule consacrée, ce qui ne saurait être considéré comme une bonne nouvelle, mais plutôt un préalable à la montée aux extrêmes. Car que vaut la représentation politique lorsqu’à l’occasion d’élections municipales françaises, bien des élus arrivent à « prendre » leur mairie avec moins de 10% de votants ? La politique, même au niveau local, n’apparaît plus comme capable de répondre aux besoins des gens.
Petite musique de fond
Les mouvements de gauche tentent de répondre. Mais leurs voix sont discordantes, fatiguées ; et leurs propositions inaudibles. Le désarroi s’est installé face à ce qui ressemble à un rouleau compresseur mû par la fatalité. Depuis longtemps, une petite musique entêtante se fait entendre, sur tous les tons, dans tous les recoins de la société : la mondialisation économique, parfois abstraite, et son visage concret, l’immigration, sont le problème. La solution, c’est le repli ; ce qui importe, c’est l’identité. Parfois de manière innocente et sans qu’on puisse y voir malice. La relocalisation industrielle, qui est contre ? La passion pour son équipe de foot nationale aux dépends de l’adversaire chez les commentateurs télé, que dire contre ? La mise en avant systématique des conséquences de tel ou tel conflit lointain sur les producteurs locaux de fruits et légumes, comment s’en plaindre ? Mais l’ensemble fini par faire sens : le mal est ailleurs, le remède est ici.
Réponses éparses
Depuis la rentrée, plusieurs structures des quartiers se sont lancées pour tenter d’offrir des réponses, à leur petit niveau : la fédération des Maisons des potes organise une colloque les 30 et 31 octobre à Paris. Banlieues d’Europe tenait une formation à Saint-Etienne (article à venir sur presseetcite.info), les 16 et 17 octobre dernier. Un collectif d’une soixantaine de grands syndicats et d’organisations d’éducation populaire de même, les 21 et 22 novembre à Saint-Denis. Quelques associations de quartier parmi lesquelles Cité en mouvement, à Saint-Ouen, tiendront une rencontre contre les « paroles de haine » en décembre. Ressources Urbaines, de son côté, dirigeait un Journal d’application au sein du Centre de formation des journalistes du 08 au 22 septembre dernier, sur ces thématiques (articles mis en ligne sur le site de Presse & Cité depuis le 23 septembre).
Sentiments de victimisation
Dans un article à paraître sur Presse & Cité, Charles Rojzman, « thérapeute social », résume :
« Les passages à l’acte violents, qu’ils soient de la part de l’extrême-droite comme Breivik [auteur de l’attentat d’Oslo en 2011] ou du radicalisme musulman comme Merah sont plus que des symptômes. Beaucoup de gens peuvent exprimer le même genre de sentiments, sans pour autant accepter ces crimes. Sentiments de victimisation, de chute sociale, de rage (…) Il y a une très forte humiliation, due au sentiment de ne pas avoir de pouvoir sur sa propre vie (…) Des mains secourables sont proposées pour y répondre, religieuses ou idéologiques. »
Car les succès de Soral et de Dieudonné, ainsi que la fascination de jeunes égarés pour l’islamisme, vision politique et totale de l’islam devant s’appliquer à tous les domaines de la vie quotidienne, jusque dans sa version la plus radicale, le djihadisme, relèvent bien du même malaise.
Cette situation amène Presse & Cité à réfléchir à sa situation et à la nécessité de changer ses pratiques, afin de proposer des perspectives médiatiques à ces phénomènes. La suite, à ce sujet, très bientôt…