
30 ans de minorités dans le sport, de Noah à Zidane

L'historien Yvan Gastaut, professeur à l'Université de Nice, revient sur la place contrastée qu'occupent les minorités dans le sport en France depuis le début des années 80. Entre intégration et essentialisation, le sport est-il un vecteur de métissage ou un miroir aux alouettes ?
P&C : La victoire de Yannick Noah à Roland Garros est concomitante de la Marche. Quelle est la contribution de cet événement sportif à l'évolution de l'imaginaire français sur les minorités ?
YG : Ce sont deux choses très différentes. Mais c'est vrai que cette victoire de l'enfant d'une Blanche et d'un Noir, c'est une success story, et la préfiguration du Black-Blanc-Beur de 1998. Le contexte reste celui d'une période de forte expression du racisme, comme le montrent l'assassinat du petit Toufik à La Courneuve, les Arabes qui se font tuer à Marseille ou le score du FN aux municipales... Cela montre en tous cas que la société française a deux visages ; la figure du « Black », on dit bien « Black », pas « Noir » devient à la mode, un peu comme la mode « nègre » des années 20. Cette victoire est une émotion fondatrice.
P&C : Pourtant, des sportifs étrangers ou d'origine étrangère avaient déjà émergé précédemment dans les équipes françaises ?
YG : Oui, il y avait des italiens par exemple, ou des Maghrébins comme Ben Barek [joueur marocain jouant dans l'équipe de France des années 10 et 50]. L'équipe de France de foot de 1982, à Séville, est aussi métissée. Mais c'était à une époque où globalement, la société n'a pas de questionnement sur cette présence, ni sur elle-même, à ce niveau, ce n'est pas mûr. On ne les voyait pour ainsi dire pas. C'était l'époque coloniale. Noah, c'est la France métissée, à la fois le Cameroun et la France. Le sport est à l'avant-garde. Arrivent alors les coupes de cheveux imitées « black », c'est le moment où la mode s'empare de tout ça, comme Oliviero Toscani avec « United colors of Benetton. Mais en même temps, on a aussi les charters maliens en 86... L'apogée, c'est le défilé de Découfflé en 89, pour le bicentenaire de la Révolution et son défilé emblématique du métissage.
P&C : Quelque chose change-t-il avec la victoire des Bleus en 1998 ?
YG : Oui, cette victoire Black-Blanc-Beur va en fait réunir tout le monde, avant, les beurs ne sont pas trop dans cette mode. Grâce à Zidane, on a tous les éléments réunis ; même si SOS Racisme et ses concerts à la Concorde rassemblaient déjà avant, le pouvoir rassembleur du sport est encore plus fort. C'est comme avec le patronat : dans le sport, c'est la performance qui compte, pas la couleur !
P&C : Le sport est de plus en plus présent dans la société ; est-ce qu'il est un vecteur pour l'intégration des minorités ?
YG : Les sportifs sont les héros modernes, plus que la littérature ou le théâtre. D'autant que ce n'est pas le bagage culturel qui importe dans le sport ! Une politique d'intégration des athlètes est menée dans les années 90, de fait, par le ministère de la Jeunesse et des sports.
P&C : Pourtant, le sport peut aussi continuer à véhiculer des clichés. De ceux que pointent Senghor, lorsqu'il affirme que, pour les Occidentaux, « la raison est Hélène, et le sentiment nègre »... et le sport, a fortiori.
YG : Oui, il y a un effet pervers, le sport peut aussi essentialiser, sur le mode : « les Noirs courent plus vite ». Et puis on peut saluer les héros gagnants, tout en exprimant beaucoup de racisme dans les stades dès les années 80, comme le révèle Joseph-Antoine Bell [footballeur gardien de but de l'OM dans les années 80, Ndlr] : violence, intolérance, cris de singe... Le sport n'est pas une société exemplaire. La mode Black Blanc Beur, c'est une parenthèse enchantée, trois ans plus tard, il y a les sifflets contre la marseillaise pendant le match France-Algérie. Et le coup de boule de Zidane est vécu par certains comme « l'arabe qui s'exprime dans sa profondeur absolue » ! Même si cette parenthèse peut se déliter rapidement, elle a le mérite d'exister. Il faut savoir profiter de ces événements quand ils se présentent.
P&C : Est-il donc plus facile d'être français issu des minorités quand on est sportif ?
YG : Les personnalités les plus appréciées des français sont issues du sport ou du cinéma, qui sont moins excluants que la littérature ou le théâtre. Mais cela reste des microcosmes.
Propos recueillis par Erwan Ruty