
OMJA : les« vacances engagées » des jeunes d'Aubervilliers

Cet été encore, une soixantaine de jeunes albertivillariens prendront des « vacances engagées » dans des pays du Sud. A l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers (Omja), depuis plus de dix ans, c’est devenu une habitude : filles et garçons de 18 à 25 ans s’investissent dans un projet solidaire vers près de dix pays comme le Mali, l’Algérie ou encore le Viet Nam…
Une occasion aussi, pour ces jeunes habitants de quartiers populaires de la ville et dont les parents sont issus pour beaucoup des différentes vagues migratoires, d’explorer les liens, en mutation, entre la France et les pays du Sud. Le principe de ces séjours solidaires : former une équipe entre jeunes habitants d’Aubervilliers et ceux de la ville d’accueil pour mener, ensemble, un projet solidaire et le tournage vidéo d’un carnet de voyage. Pas question de se faire payer des vacances au soleil : les jeunes portent et organisent le projet durant un an, de la préparation aux restitutions. Du Mali au Brésil en passant par le Maroc, jeunes de l’Omja et du pays d’accueil ont rénové une école et mis sur pied une radio au Mali, se sont occupés d’enfants dans le besoin au Viet Nam, ont tourné un docu-fiction sur la jeunesse de Bab El Oued ou encore un court métrage au Brésil.
Point commun : la débrouille
Le cœur du voyage est en réalité le projet solidaire. Un moyen pour l’Omja d’initier un échange entre deux groupes de jeunes éloignés par la distance mais aussi par leurs expériences de vies. Mais aussi reliés, parfois, par des origines géographiques communes. « Solidaire et pas humanitaire » tient à préciser Pauline Deneufbourg, chargée de mission « Relations internationales de l’Omja, « nous sommes dans une démarche d’échange et pas d’urgence ». L’Omja prend ainsi beaucoup de précaution à ne pas être perçue comme un bailleur de fond venue d’un pays riche et aux interventions ponctuelles. Les projets au long cours sont donc privilégiés. Une perception qui, pour Diaby Doucouré, directeur de l’Omja et initiateur des premiers séjours de ce type, est rendue impossible par l’origine populaire des participants français : « Le fait que les participants venus de France vivent en quartier populaire contrecarre, pour ceux qui nous accueillent, l’image du grand argentier venu du Nord. Le point commun entre les groupes de jeunes, c’est la débrouille : nous on se débrouille pour trouver des financements, mener à bien nos projets, eux se débrouillent pour vivre, tout simplement. »
L’important, c’est les rencontres
Pas question donc, de construire une école et de disparaître. Le vecteur d’échange entre les jeunes des deux pays, c’est le projet. Souvent, plus que les liens pouvant exister avec le pays d’origine des parents, ce projet est la première raison du choix de la destination. Yassine, jeune géomètre-topographe en intérim et participant à l’espace multimédia d’Aubervilliers depuis plusieurs années, s’apprête à passer trois semaines en Argentine pour tourner un court métrage. Il a participé au tournage d’un film avec l’Omja et des Brésiliens entre Rio et Sao Polo l’été dernier. « Moi, l’année dernière, j’aurais pu partir au Maroc, le pays d’origine de mes parents. Mais écoute, le Maroc, je connais. J’y suis allé plusieurs fois et, franchement, je suis pas patriote. Ce n’est pas parce que j’ai des origines marocaines que je vais me sentir obligé de choisir cette destination. L’année dernière, j’ai préféré le Brésil et je regrette pas. J’adore l’Amérique du Sud, pour l’ambiance, la fête et… les filles ! Le travail avec les Brésiliens, l’année dernière, s’est super bien passé. Et même si, finalement, j’ai pas été du tout satisfait du film, je m’en fous… L’important, c’est de les avoir rencontrés ! »
L’occasion de casser les clichés
Sabrina, jeune assistante de production pantinoise de 23 ans, n’avait pas non plus pour priorité de prendre la direction de l’Algérie, pays d’origine de ses parents, en 2009. Mais le projet de tournage de films et l’équipe l’ont poussée à choisir cette destination qu’elle connaissait déjà bien pour s’y être rendue en vacances, dans sa famille, à de nombreuses reprises. Enfin … qu’elle pensait bien connaître… « J’avoue que j’avais des a priori sur la jeunesse algérienne, à base de clichés. Je les imaginais tous comme des « blédards », paumés, pas motivés parce qu’il n’y a pas de travail là-bas. En fait, je me suis rendue compte que j’avais surtout en tête l’image des seuls jeunes du village des mes grands parents en Kabylie, voire des sans pap’ qui traînent aux Quatre chemins, à Auber ! » Ces voyages sont donc aussi l’occasion pour les jeunes de reformuler la perception qu’ils ont du pays d’origine de leurs parents.
Des jeunes qui débarquent parfois en néo-colonisateurs
A travers ces séjours, les jeunes de l’Omja appréhendent donc différemment les rapports entre pays du Nord et pays du Sud. Diaby l’a remarqué au cours des voyages qu’il a encadré au Mali : « Au départ, les jeunes soit ont des appréhensions, soit débarquent en néo-colonisateurs, prenant les gens de haut, en se la racontant. Mais au Mali, par exemple, ils déchantent vite… Notamment parce que le centre culturel Blonba avec qui on échange, s’est très vite développé depuis quelques années. Ils sont aujourd’hui mieux équipés que nous ! Ca fait relativiser sur la motivation, l’envie de s’en sortir sans se laisser abattre même quand on n’a pas grand chose. Les jeunes d’ici y sont sensibles et reviennent plus forts, plus motivés ».
Un constat partagé par Sabrina et Yassine. A quelques jours du départ pour l’Argentine, ils ont reçu les présentations de leurs coéquipiers argentins pour le tournage du film. Sabrina en vient même à s’inquièter : « Ils sont calés et ont plein d’expériences ! La nôtre est toute petite à côté. J’espère qu’ils vont pas nous prendre pour des rigolos ! »
Thomas Huet