
Les foyers d’Île-de-France vibrent au son de la CAN 2012

Si la plus grande manifestation sportive africaine, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), n’a pas suscité l’intérêt des médias en France, faute de troubles sans doute, elle n’a pas manqué, comme à chaque édition, de passionner les Africains de France. L’occasion pour eux de renouer avec le continent où le ballon rond est sacré. Reportage dans le foyer Bara, à Montreuil.
Dimanche 12 février. 20h30. On se presse à l’entrée du foyer Bara, à Montreuil, dans le 93. Dans la cour d’entrée, d’habitude si encombrée, les vendeurs de maïs et de sucreries en tout genre paraissent bien seuls. C’est ailleurs que cela se passe. Au café Bara. Le café du foyer. Le lieu de vie par excellence de la résidence. Le coup d’envoi de la finale de la CAN 2012 a à peine été sifflé que les pronostics vont déjà bon train. « Les Ivoiriens vont gagner 3-1 ». « Non, c’est la Zambie qui va l’emporter, 2-1 ». Dans ce foyer de travailleurs africains composé à « 95% » de Maliens selon les statistiques des occupants, les maillots orange, les Ivoiriens, sont les grands favoris. « Six équipes ont représenté l’Afrique occidentale, les Ivoiriens sont les seuls arrivés en finale, nous devons les supporter. Ce sont nos voisins ! » explique Monsieur Cissé, le patron du café. Ce Malien de 49 ans ne rate pas un match de football. Qu’il s’agisse des compétitions françaises, anglaises, ou autres. « Parce qu’il y a beaucoup de joueurs africains dans ces équipes. » Encore moins quand il s’agit de la CAN.
« La foule, à la cantine, c’est plus pire ! »
Dans son café, pas bien grand mais suffisant, il y a foule. « A la cantine, c’est plus pire ! » Depuis le début de la compétition, à chaque match, l’ambiance est la même. « Tout le monde suit ça, même les vieux ! » Encore plus quand les Aigles, l’équipe nationale malienne, jouait. « Mais ils ont été éliminés en demi-finale », regrette encore Monsieur Cissé. Son voisin d’ajouter : « On n’a jamais remporté la coupe ! On a été quatre fois en demi-finale. En 72, du temps de Salif [Keïta, ancien footballeur international malien, premier vainqueur du Ballon d'or africain en 1970], on a été jusqu’en finale, et là… » Et là, non. Les Aigles ont quitté Libreville, la capitale gabonaise où se déroule la manifestation pour rentrer chez eux, sans la coupe. « Ils sont quand même troisième ! » tente de positiver Cissé. Didier Drogba, le capitaine des Eléphants, les joueurs Ivoiriens, entre en jeu. « Respect ! » scande un jeune. Un autre « tchip ». «Quand tu es un vrai Malien, tu ne peux pas supporter la Côte d’Ivoire ! Moi je suis pour la Zambie. » Parce que les Maliens, nombreux à travailler en Côte d’Ivoire, n’y sont pas toujours bien traités, lâchera-t-il plus tard. Les dix ans de crise politique, avec l’exacerbation du nationalisme et des tensions intercommunautaires, sont passés par là. C’est dire l’enjeu que représente cette finale pour les Ivoiriens.
Réfugié de la guerre civile
Justement, les « rares » ivoiriens qui vivent au foyer, squattent la cantine où l’ambiance est plus électrique. A côté de la cuisine, d’où s’échappent des odeurs de friture, les tables ont été virées pour ne garder que les chaises serrées les unes à côté des autres sur lesquelles se sont entassés des dizaines de résidents du foyer. Et du voisinage également, venus profiter de l’ambiance. Un modeste poste de télé, câblé, permet à chacun de suivre les matchs. « On va gagner 3-0 ! » promet Ousmane, 16 ans. Un des plus jeunes des lieux, en France depuis « quelques mois à peu près ». Un de ceux qui a fui la guerre civile en Côte d’Ivoire et réussi à contourner les portes de la forteresse européenne pour trouver refuge ici. Son compagnon de route, Amadou, 18 ans est plus candide. « Non, on va leur laisser marquer un but. » Quand même. Mais pour eux, pas de doute, la victoire sera pour la Côte d’Ivoire. Le pays en a besoin. « La coupe sera le signe du retour de la paix chez nous. » Impossible pour eux, comme pour les autres spectateurs, de ne pas ressentir un petit pincement au cœur à la vue de la compétition. « Pendant la CAN, c’est la fête en Afrique. Partout. Tout le monde suit ça. Même les filles. » Alors qu’ici l’ambiance est exclusivement masculine. Y compris derrière les fourneaux. « C’est pas pareil, quand on regarde ça ici. Mais on n’a pas le choix. » Et si la victoire est remportée, promis, ils célèbreront cela comme il se doit. Un vieux rappelle à l’ordre des supporters qui ont laissé leur enthousiasme s’exprimer trop bruyamment. « Eh, vous regardez le match dans le calme sinon on arrête tout ! » Car à côté des footeux, d’autres, tenus de se lever à l’aube pour aller au boulot, tentent de dîner dans le calme.
« Des joueurs issus de la diaspora, comme nous »
Retour au café Bara. « Ça balance », s’enthousiasme Cissé. Le match est à la hauteur des attentes des amateurs de ballon rond. « Cette équipe est soudée, c’est sa force, juge Cissé. Ce sont surtout des joueurs issus de la diaspora. Comme nous ». Des Africains qui ont quitté leur pays pour se construire un avenir meilleur. Comme eux. Ici, tout le monde travaille. Quel que soit le boulot, l’essentiel est de travailler. La famille, restée au pays, compte sur eux. D’où la proximité avec les joueurs Sénégalais, Ivoiriens, Camerounais qui évoluent dans les grandes équipes internationales de football. Réalisant le rêve de plus d’un gamin de Bamako à Douala, en passant par Bab el Oued. Didier Drogba, Samuel Eto’o, Yaya Touré, les idoles de toute une génération. Reste que les Eléphants vont rencontrer des difficultés à venir à bout des Chipolopolos, les joueurs zambiens. « Les Ivoiriens sont en difficulté », s’inquiète Cissé. La coupe se jouera finalement sur les penaltys. Quelques minutes décisives. Un silence inhabituel s’est installé dans le café. Les yeux rivés sur l’écran, chacun retient son souffle. « He !!! » Didier Drogba a manqué un pénalty. C’est la déception. Les supporters de la Zambie ont la victoire modeste. Tandis que nos jeunes ivoiriens voient le symbole du retour à la paix dans leur terre natale s’envoler.
Dounia Ben Mohamed