La Réunion : « La situation est explosive depuis longtemps »

Le 05-03-2012
Par xadmin

Après plusieurs jours d’émeutes, la Réunion a retrouvé son calme. Mais de nouvelles tempêtes sont à craindre. La Réunion connait un contexte social et économique alarmant. Chez les jeunes, dont 60% sont au chômage, le malaise est profond. Deux Réunionnais nous livrent leur interprétation de ces évènements, de l’intérieur, avec Carpanin Marimoutou, professeur de littérature à l’Université de la Réunion, de l’extérieur, pour la politologue Françoise Vergès.

 

La Réunion semble avoir retrouvé son calme mais on sent bien que la colère gronde toujours et depuis un moment déjà ?

Carpanin Marimoutou : Il y a une espèce de coïncidence étrange entre les évènements récents et d’autres qui se sont déroulés il y a une vingtaine d’année, en 1992. Partis du quartier du Chaudron également à la suite de l’interdiction d’une télévision que les gens considéraient comme un média de proximité, qui était à leur écoute. La situation est explosive depuis longtemps. La société réunionnaise est coupée en deux, avec d’un côté, des gens qui profitent largement des monopoles dans la grande distribution, des fonctionnaires Réunionnais ou venus d’ailleurs, de métropole notamment, et de l’autre une énorme part de la population réunionnaise qui connaît le chômage depuis deux ou trois générations.

Françoise Vergès : Ce qui me surprend c’est plutôt la tranquillité de cette société qui vit dans des conditions impossibles. On passe des heures dans les voitures. Deux heures pour faire 60 km, dans des chaleurs extrêmes. Il n’y a pas de transport en commun parce qu’on a supprimé le tram-train. Tout ce qui était petite économie familiale, les gens qui vendaient leur surplus de mangue devant chez eux, a été interdit. Tout ce qui permettait aux gens de gagner un peu plus a été cassé par des réglementations. En 1955, il y avait déjà eu des violences dues à la situation économique. La Réunion importait 60% de Morue. Pour une ile ! On allait tuer la pêche réunionnaise.

Ce qui ne serait pas dû à son insularité, à son isolement géographique, mais aux modes de développement choisis ?

Françoise Vergès : On a choisi pour cette île là la société de consommation. L’industrie sucrière s’est effondrée dans les années 60 ce qui a entraîné des fermetures d’usines, des pertes d’emploi, que l’on a remplacé par des services et le service public qui absorbe une bonne partie de la population active. Aujourd’hui, la Réunion importe 60% de tout d’Europe alors que cela lui coûte 60 % plus cher. La balance commerciale n’est pas équilibrée. Elle exporte 300 000 tonnes de marchandises contre 1 million 400 000 tonnes d’importation. Ce qu’elle exportait déjà en en 1960 ! Depuis le volume des exportations n’a pas augmenté.

Carpanin Marimoutou : L’appareil productif réunionnais a été détruit depuis les années 70, 80. La Réunion importe aujourd’hui tout ce qu’elle consomme. Avec en plus des monopoles dans la distribution et les exportations avec des marges faramineuses.

Le problème de la vie chère justement, qui a servi de déclencheur des tensions récentes, avec l’augmentation du prix de l’essence notamment, mais ce n’est pas le fond du problème ?

Carpanin Marimoutou : On ne répond pas aux problèmes mais on fait de la charité. On prend dans tel budget des collectivités locales pour financer l’augmentation du prix de l’essence sans toucher aux monopoles dans la grande distribution. Encore une fois, on demande aux collectivités locales de parer à la vie chère, donc aux contribuables, de financer les bénéfices de la grande distribution. C’est quelque chose d’assez étrange : on admet que la vie est plus chère, du coup on indexe les salaires des fonctionnaires mais en même temps, cette prise en compte de la vie chère ne concerne pas les plus pauvres. Il a fallu se battre très longtemps pour que le Smic soit aligné. On admet que les fonctionnaires soient mieux payés qu’en France mais avec des prestations sociales nettement inférieures à celles qui sont versées en métropole. Une situation qui favorise clairement un certain nombre de personnes en laissant la majorité de la population dans une situation calamiteuse. Et alors qu’il n’y a pas eu de pillage. Ils n’ont pas eu accès aux magasins, les grandes surfaces étaient protégées en permanence par les gendarmes ! On a mobilisé 700 hommes, des moyens délirants, des hélicos, pour des groupes d’une centaine de personnes !

Une mobilisation très importante et une répression très ferme également.

Carpanin Marimoutou : Des moyens totalement démesurés. Et un état qui répond par une répression délirante. Avec des jeunes jugés en comparution immédiate qui ont écopé de six mois à deux ans fermes ! Même pendant les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises on n’avait pas vu cela ! On est face à une situation de désespoir objective et en même temps aucune alternative proposée.

Françoise Vergès : Des peines très lourdes. Comme pour les violences de 92, les jeunes ont été traités comme de la racaille par les juges et procureurs. Des jeunes que l’on prend et que l’on jette. Les prisons en sont pleines. La Réunion compte 20% d’illettrés qui sortent de l’école. Pas des personnes de 90 ans mais de 24 ans ! C’est la question de la langue. La population est à 90% créolophone et ne maîtrise pas le français. L’école est souvent faite par des enseignants de métropole qui n’ont aucune conscience si ce n’est toujours la même mission civilisatrice. Depuis des années, des études sont faites sur l’échec scolaire, parce que les enfants ne comprennent rien à ce que leurs disent les enseignants, mais on  refuse l’idée d’une école bilingue parce que cela signifierait reconnaître que le créole est une langue.

On aura pu noter le silence de la classe politique réunionnaise contrairement à ce qui s’est passé en Guadeloupe ou à Mayotte en 2009 où le collectif LKP, autour d’Élie Domota notamment, a pu mobiliser, encadrer la contestation.

Carpanin Marimoutou : En Guadeloupe, il existait des mouvements constitués, des revendications claires, des leaders issus de ce mouvement, une mobilisation forte. A Mayotte pareil. Alors qu’ici, on sent que l’ensemble de la classe politique ne répond pas à la population. Le silence des syndicalistes est effectivement étonnant. Le seul parti qui s’est exprimé est le Parti communiste réunionnais qui est le seul à ne pas stigmatiser les jeunes alors que l’ensemble de la classe politique est soit dans le paternalisme soit dans la stigmatisation. Les autres sont dans le mimétisme avec les partis politiques nationaux dont les programmes ne sont pas adaptés à la situation locale.

La question du statut de la Réunion, à la fois département et région, est-elle à remettre en cause ? Un référendum sur l’autonomie de la Réunion doit-il être envisagé ?

Carpanin Marimoutou : S’il y avait eu une véritable politique d’intégration à la France, les Réunionnais auraient dû avoir accès aux mêmes chances que les Français, y compris dans le domaine culturel, alors que la majorité a été exclue de l’accès au savoir. Tout a été fait pour faire croire que « heureusement qu’il y a la France ». On n’apporte pas de réponses aux demandes de la population parce qu’on ne l’écoute pas, on pense à sa place. On est dans une vraie situation coloniale.

François Vergès : Il y a un mépris pour les Réunionnais, vous ne pouvez pas imaginer ! Avec un racisme beaucoup moins visible qu’en Guadeloupe où l’on a les Blancs et les Noirs. Les politiques ont tenté de minimiser avec le slogan : « nous sommes tous Réunionnais. » Ce qui est vrai mais à condition également de combattre les formes de discriminations et de mépris à l’intérieur. Regardez les conseils municipaux, si vous voyez autre chose que des petits blancs, vous me passez un coup de fil ! Que des gens d’ici (de métropole). C’est aussi l’histoire de la Réunion. Une société qui a été esclavagiste. L’esclavage n’engendre pas le collectif.

Même si les caractéristiques ne sont pas tout à fait les mêmes, dans quelle mesure peut-on faire un parallèle entre les évènements récents à la Réunion et les émeutes de 2005 dans les quartiers populaires en métropole ?

Carpanin Marimoutou : S’il y a comparaison à faire c’est sur le fait que les jeunes ont ressenti le même sentiment de stigmatisation, d’exclusion. Mais il n’y a pas que cela…

Françoise Vergès : Ce qui est commun : on a produit un nombre de jeunes qu’on délaisse, à qui on dit, ou on n’ose pas dire, qu’il n’y a pas de travail pour eux, pas d’avenir. Chez les jeunes, c’est la colère qui s’exprime aujourd’hui. C’est un sentiment politique si elle peut s’articuler avec un discours.

Dounia Ben Mohamed. 

 

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