De la décolonisation à la Françafrique, 50 ans d’indépendances tronquées - RU

Le 19-03-2010
Par xadmin

Du 19 au 28 février s’est tenue la 5e édition de la semaine anticoloniale. Parmi les manifestations au programme une conférence sur le cinquantenaire des indépendances et les dernières actualités de la Françafrique. L’occasion de revenir sur un système qui a permis de poursuivre le pillage des richesses africaines et de maintenir les anciennes colonies dans l’orbite française.

Etat des lieux
Sur un même son de cloche, Nicolas Sarkozy et Ali Bongo, président du Gabon, ont juré lors de la visite du premier à Libreville, le 24 février dernier, que la Françafrique n’existait plus. « Nous ignorons vous et moi le contenu réel de ce qui est parfois appelé "Françafrique", a déclaré Ali Bongo. La politique des tutorats, des réseaux, des leçons est révolue. » « Je n'appartiens pas à la génération de la colonisation, a relancé Sarkozy. Je n'en ai pas les réseaux (...), je n'en ai pas non plus les complexes. »
D’autres ne sont pas du même avis. Réunis vendredi 26 février, gymnase Jean-Dame, dans le deuxième arrondissement parisien, un certain nombre d’irréductibles gaulois planchent sur le thème : « 50 années d’indépendances confisquées : l’actualité de la Françafrique. ». Une conférence-débat organisée par l’Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (AFASPA), le Cercle Frantz Fanon et l’association Survie dans le cadre de la semaine anticoloniale. Réponse à la campagne gouvernementale de célébration du cinquantenaire des indépendances. Un représentant de la Fédération des Congolais de la diaspora (FCD), Benjamin Moutsila, met le doigt sur le cœur du problème : les élections, ou justement l’absence d’élections démocratiques et transparentes dans les ex-colonies françaises. « Le Congo Brazzaville est indépendant depuis 1960, mais il n’y a jamais eu d’élection [sous-entendu « élection libre », NDLR]. Les chefs d’Etat africains ne sont pas élus.» La méthode ? Procéder par un coup d’état par la suite légitimé par des élections factices mais cautionnées par le Quai d’Orsay. Dans ce sens, la Mauritanie va servir de cas d’école. Omar Ould Dedde, démocrate mauritanien membre de l’association Assez de coup d’Etat, revient sur le putsch d’août 2008 du général Mohamed Ould Abdel Aziz, au départ dénoncé par la France puis soutenu dans un simulacre d’élection. « Entre temps, la Mauritanie a basculé dans les réseaux de la Françafrique alors que jusqu’à présent elle en était épargnée. » Un basculement marqué par les nombreux allers-retours entre Paris et Nouakchott de personnalités telles que Robert Bourgi, émissaire officieux de Nicolas Sarkozy et le député UMP, Patrick Balkany. Un cas loin d’être isolé : « Ce coup d’état a ouvert la voie à une série de coups d’état en Afrique, notamment à Madagascar, en Guinée, et aujourd’hui le Niger. Le message est bien passé. » Au Togo, les élections du 4 mars ont suivi le même schéma que celles qui ont vu Ali Bongo succéder à son père en septembre 2009. Steeve Nyatépé, du Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques au Togo, averti : « Les partis de l’opposition assurent que les fichiers électoraux ont été truqués au profit du parti de Faure Gnassingbé et l’envoi d’informaticiens du Bénin mandatés par Bolloré pour truquer les élections. Des élections financées par l’Union européenne !!! »

Que faire ?
En somme, la Françafrique, en cinquante ans de service, n’a pas perdu de sa vigueur. Reste qu’une fois le constat établi, que faire ? C’est la question posée par une jeune Camerounaise dans la salle. C’est bien le problème. Au delà du stade d’informer, comment mobiliser ? Même si la semaine anticoloniale, qui en est à sa cinquième édition, connaît cette année ses premiers succès, elle peine à élargir son public, aux quartiers populaires notamment.
« La semaine anticoloniale a été créée en réaction à la loi du 23 février 2005 sur le rôle positif de la colonisation et après les émeutes d’octobre 2005, rappelle Frédéric Farid Sarkis, un des fondateurs de Survie. Pour nous, la question de la banlieue est centrale. Que ce soit la Françafrique, les discriminations dans les banlieues, les sans papiers, il faut fédérer les luttes. » Reste que la semaine anticoloniale, de par son fonctionnement, un collectif d’associations qui marche en réseau, a du mal à toucher en dehors du dudit réseau. D’où l’importance de la médiatisation. Laquelle commence à arriver. « Quand on a commencé la semaine, on nous disait que l’anticolonialisme était un combat dépassé. Deux ans après, on considérait que c’était des luttes limitées à l’extrême gauche. Aujourd’hui, il commence à entrer dans le vocabulaire commun. D’année en année, le public grossit. La semaine s’arrête aujourd’hui et reprend l’année prochaine mais entre temps, on a pour projet de monter un réseau de lutte anticoloniale. » Avec notamment des actions dans les banlieues.
En attendant, en marge du cinquantenaire des indépendances, Sarkozy a annoncé que 2010 serait l’année de l’Afrique. Il faut s’attendre à un concert de célébration dont le summum sera l’invitation de chefs d’état africains pour le défilé du 14 juillet. Dont un certain nombre sont des dictateurs avérés, mais aussi de grands amis de la France et d’ardents défenseurs… de la Françafrique.


Dounia Ben Mohamed - Ressources Urbaines

Les colons de l’année
Comme chaque année, dans le cadre de la semaine anticoloniale, des prix du colon de l’année ont été décernés à des personnalités et des institutions. Dans la catégorie politique, nominés aux côtés de Morano, Frêche et Hortefeux, Eric Besson a été élu à une majorité écrasante. Suivi de Benjamin Netanyahou dans la catégorie internationale, l’Otan pour les institutions internationales complices et Bolloré, entreprise coloniale de l’année. Quant au prix décerné par l’association Survie, il a été attribué à Robert Bourgi. Particulièrement actif cette année.

5000 personnes battent le pavé pour la suppression du ministère de la honte
Avec des slogans tels que « Notre identité n’est pas nationale » ; « Indigènes hier, sans papiers aujourd’hui, toujours exploités ! » ; « Besson, Sarkozy, il est fini le temps des colonies ! », plus de 5000 personnes ont manifesté samedi 27 février à Paris pour réclamer la suppression du ministère de l’Identité nationale. Une initiative qui s’inscrit dans le cadre de la 5e édition de la semaine anticoloniale qui s’est tenue du 19 au 28 février. « On voulait montrer qu'il y a une liaison entre le colonialisme d'hier et celui d'aujourd'hui, dans la façon de traiter les jeunes issus de l'immigration et les sans-papiers, par exemple, explique Patrick Farbiaz. Il y a un trou noir de la mémoire sur la question coloniale, qui fait que l'on n'a pas pu régler ces questions de discrimination. »

Samedi 27 février à Paris à la manifestation pour la suppression du ministère de l’Identité nationale

 

Site de l'association Survie : http://survie.org/

 

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