
Coprodex : un comptoir commercial qui n’a rien de colonial

A près de 70 ans, dont plus de la moitié passée à la tête du Comptoir Provençal d’Exportation (Coprodex), Claude Dromard reste un insatiable arpenteur de l’import-export. Il naît et grandit dans l’Afrique coloniale. Désormais installé à Aubagne, il se tourne d’abord vers le commerce avec le Pacifique Sud, puis prospecte les DOM-TOM et les anciennes « possessions » françaises sur le continent noir. Avec ces pays, il estime entretenir une relation commerciale vertueuse comme il le ferait avec la Norvège ou l’Australie. Cas à part d’équité dans les échanges au sein d’un système Nord-Sud complètement inéquitable ? Ou au contraire témoignage décomplexé représentatif du point de vue de bon nombre de Français ayant vécu ou travaillé du bon côté de la barrière coloniale ?
« Les relations commerciales avec nos pays partenaires sont très saines. Dans d’autres domaines comme le minerai ou le pétrole, il y a peut-être des « intérêts supérieurs ». Avec les biens de consommation, non », veut croire Claude Dromard. Cet homme d’une ancienne génération a la tête bien sur les épaules. Il dirige depuis plus de trente-cinq ans une entreprise d’import-export basée à Aubagne, à quelques kilomètres à l’est de la Cité phocéenne. Ses clients se trouvent en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, aux Antilles, en Afrique de l’Ouest, dans l’Océan Indien… Agroalimentaire, marchandises en lien avec le jardin et les loisirs, outillage : « Il n’y a rien que nous n’ayons acheté ou vendu, mis à part bien sûr des produits illicites !», plaisante ce patron à la tête de neuf salariés, dont l’entreprise réalise un chiffre d’affaire annuel moyen de 6 millions d’euros, en constante hausse. Même si la crise est passée par là, faisant chuter sérieusement les commandes.
Petit déjà, Claude Dromard baigne dans le commerce international et attrape le virus du voyage. Né en 1942 à Sidi Bel Abbès, dans l’Algérie française, il passe les premières années de sa vie au Togo. Dans sa jeunesse, son père fut planteur de tabac, puis embauché à Lomé dans un comptoir de la S3G (Société Générale du Golfe de Guinée, toujours opérante). Suivent les prémisses des indépendances africaines ; la famille rentre en France, à Marseille, en 1950. Après le bac, Claude passe Sup’ de Co, puis effectue sa quatrième année au CECE - Centre d’Etude du Commerce Extérieur. Le globetrotter en devenir apprécie les langues, apprend l’italien, l’anglais, l’allemand, et le russe.
Une langue commune facilitatrice d’échanges
Son passage en tant que cadre commercial au sein des laiteries Bridel, avant que le groupe Besnier ne les rachète, signera le début de ses aventures professionnelles extranationales. Il y structure le service d’exportation, et obtient l’intégration de l’entreprise familiale dans le groupement d’intérêt économique (GIE) France Export. Claude se voit proposer la direction d’une des antennes du GIE créée dans le Pacifique Sud, à Tahiti, d’où il rayonnera vers la Nouvelle Zélande, l’Australie, la Nouvelle Calédonie. Quand il fonde Coprodex en 1975, il regarde tout « naturellement » dans cette direction, où il a « lié de bonnes relations ». Entre-temps, le jeune homme convole avec sa femme à l’occasion de vacances en Métropole.
Le chef d’entreprise flaire une niche dans ces territoires « mal desservis par les grosses boîtes » qui rechignent à envoyer à grands frais un représentant si loin, dans des territoires peu peuplés donc peu profitables. Les intermédiaires de l’époque se « nourrissent bien » : lui sera « raisonnable », se promet-il. Poussé par les fournisseurs qu’il démarche, et qui souhaitent étendre leur visibilité internationale, il prospecte alors l’ensemble des départements et territoires d’Outre-mer. « S’investir » en Afrique francophone entre également dans ses plans, puisqu’il y a grandi. Claude ouvre de nouveaux marchés au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire. « La langue commune aide beaucoup, et culturellement, ces pays sont très demandeurs de produits français ».
Une relation commerciale « gagnant-gagnant »
Aujourd’hui, si ce business entre deux mondes est chargé de l’histoire coloniale, cet aspect ne pèse en rien dans la balance commerciale. « La relation économique serait la même avec la Norvège ou l’Australie », assure l’entrepreneur. Le nom de « Comptoir » donné à son affaire par Claude Dromard n’est bien sûr pas anodin : c’est une référence « affective » à son vécu personnel, et n’a du reste « rien à voir » avec une quelconque nostalgie des colonies.
En outre, « avec la mondialisation, la demande est telle qu’on voit naître la concurrence d’autres pays fournisseurs, comme la Chine ou la Turquie ». Depuis quelques années, en plus de produits de consommation courante typiquement tricolores ou européens, Claude importe des biens fabriqués dans l’Empire du Milieu. Il envisage d’ailleurs sérieusement d’exporter à son tour sur ce marché en pleine expansion des symboles de la culture française, gastronomie, mode et parfums.
Une tournée supplémentaire à ajouter aux nombreuses rotations déjà effectuées par ses commerciaux de par le monde. Avec toujours pour idée fixe de « rendre service », et établir des « partenariats gagnants-gagnants ».
Anne-Aurélie Morell / Med’in Marseille pour P&C