Les jeunes franco-maliens repensent le co-développement

Le 31-07-2012
Par Dounia Ben Mohamed

Les 22 et 23 juin derniers la Cité nationale de l’histoire de l’immigration a accueilli les Assises européennes de la jeunesse d’origine malienne. Une première en France, puisque différentes générations s’y retrouvaient. Analyse.

 
La diaspora malienne en France est particulièrement active. Dès leur arrivée sur le territoire français, les premiers migrants se sont faits forts de recréer les solidarités existant chez eux, pour se soutenir les uns les autres ici, et aider ceux restés au pays. Des actions qui au fil des années ont pris une réelle importance, jusqu’à susciter l’intérêt des pouvoirs publics, des deux côtés de la Méditerranée. Lesquels ont essayé, à travers diverses institutions et programmes, d’encadrer ces transferts de fonds,  de marchandises, création de dispensaires et autres chantiers de solidarités. Mais aujourd’hui, les aînés ont vieilli et la question de la relève se pose ainsi que l’explique un de ces aînés Gaharo Doucouré, Président du Conseil de Base des Maliens de France (CBMF) :
Les migrants des Trente glorieuses sont en train de sortir de la scène. Il faut que la relève reprenne le flambeau. Sinon, tout ce qu’on aura réalisé comme projet dans nos pays d’origine sera abandonné. Comme dans toute société, l’avenir, c’est la jeunesse.
D’où l’intérêt porté par le CBMF en direction des enfants des migrants.
 

Exprimer les attentes des nouvelles générations

Cette institution née du démembrement du Haut conseil des Maliens de l'extérieur, bien qu’indépendante, réunit un certain nombre d’associations maliennes de France, reconnues par l’État malien. Après avoir organisé nombre d’actions en faveur des jeunes, ils ont cherché à aller plus loin. En organisant les premières Assises européennes de la jeunesse malienne. « C’est la première fois qu’un événement de ce genre est organisé en France. Et même en Europe, souligne le président. Cette initiative rentre dans le cadre d’un programme jeunesse que nous avons mis en œuvre avec différents partenaires. Les jeunes, c’est notre axe prioritaire. » Encore fallait-il les mobiliser. Une première réunion, chargée de mettre sur pied le projet, s’est tenue le 26 novembre 2011. A la suite de laquelle un comité de pilotage a été monté. Parmi ses membres, des associations de jeunes franco-maliens suffisamment structurées et actives afin d’exprimer les attentes des nouvelles générations de la diaspora, de les mobiliser dans un second temps. D’autres institutions ou les collectivités locales, dont la région Île de France, ont aussi été associées.
 

Une dimension européenne et panafricaine

Une structure a joué un rôle clé, tant dans la forme que dans le contenu de ses assistes, le Groupe de recherche et de réalisations pour le Développement rural (GRDR) : engagé depuis 1969 pour la promotion sociale, culturelle et économique des migrants subsahariens en France et dans leurs régions d’origine. « Nous avons donné une dimension européenne à ces assises, indique Karen Mbomozomo, jeune membre du GRDR. En plus de l’appui logistique. Parce que nous travaillons depuis plusieurs années déjà avec des partenaires européens. Nous avons également pu élargir la manifestation et lui donner une dimension sous régionale en amenant nos partenaires d’Afrique de l’Ouest. » Ce qui a en outre permis de financer le projet, en partie soutenu par le label Paris Europe, la Ville de Paris, la Région Île de France et le programme jeunesse en action de l’Union européenne. Et en vue de recueillir les doléances des jeunes, des « thés-palabres » ont été organisés, à la fois en Île-de-France, Normandie et Nord-Pas-de-Calais ; mais également en Espagne et en Italie, ainsi qu’à Pikine, au Sénégal, et au Mali enfin. Résultat, partie sur un événement franco-malien, les Assises sont devenues à la fois européenne et panafricaine.
 

Mettre en lumière les engagements associatifs de la jeunesse d’origine malienne

C’était tout l’intérêt de ces Assises qui ont donc eu lieu les 22 et 23 juin à Paris, dans les murs de la Cite nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI). Malgré la situation plus qu’instable au Mali. Justement : plus que jamais, ce pays aujourd’hui a besoin d’être soutenu de manière efficace et coordonnée par sa diaspora. C’est l’objectif de ces Assises : ce nouveau rendez-vous vise à mettre en lumière les engagements associatifs et bénévoles de la jeunesse d’origine malienne et les inviter à plus d’échanges, plus de partenariats afin de mutualiser les actions et de leur donner plus d’ampleur. 300 personnes ont répondu à l’invitation. Des personnalités institutionnelles aux animateurs associatifs, en passant par les simples badauds. Des Maliens, des Français d’origine malienne de la première, deuxième ou troisième génération, des Sénégalais également, ainsi que des ressortissants d’autres pays européens.
 

Mettre des mots sur des situations 

A travers des conférences, mais également des tables rondes, les participants ont été invités à réfléchir à un certain nombre de thématiques portant sur l’engagement, le co-développement, l’entreprenariat et la citoyenneté. Ali Soumaré, jeune trentenaire, acteur associatif d’origine malienne et conseiller régional d’Île-de-France y participait en tant qu’intervenant. « La dimension européenne, qui est réellement nouvelle, était intéressante. Parce que les problèmes rencontrés par les jeunes de la diaspora ne sont pas franco-français. Ils sont Européens, juge-t-il. On doit se revoir à la rentrée. Car ce forum est le début de quelque chose, une étape. Toute la question est de savoir dans quel sens l’orienter. Selon moi, et c’est le message que j’ai porté pendant ces assises, c’est de mettre des mots sur des situations. On le voit aujourd’hui, quand on essaie de mobiliser sur ces questions, c’est toujours compliqué quand on cherche à définir une jeunesse d’origine étrangère.
Pour certains, chercher à s’impliquer dans le pays d’origine c’est forcément mal.
Alors que pour moi, c’est avant tout un ciment de citoyenneté. L’idée, c’est de mettre des mots sur des situations afin que les pouvoirs publics, les associations, les décideurs fassent avancer ces situations.» 
 

Axer sur les jeunes dans leur pays de résidence

Effectivement, le rendez-vous doit être renouvelé, sous une forme et une périodicité qui reste à définir. En attendant, à l’issue des débats, une déclaration a été rédigée, reprenant les demandes et recommandations des participants.  D’ores et déjà, une attente semble avoir émergé de ces échanges : axer davantage ces assises sur les problématiques rencontrées par les jeunes dans leur pays de résidence.  « Il y a une forme d’assignation à résidence, explique Ali Soumaré. Certaines personnes revendiquent leur droit à la différence. On peut penser que c’est bien ou mal. Mais on peut aussi se dire que chacun est libre d’entretenir les liens qu’ils souhaitent avec le pays d’origine.
Quand je vois nos parents, ce qu’ils ont fait avec peu de moyens et d’organisation, on n’a pas la prétention de faire mieux mais autrement. 
 

Les jeunes ont repris le flambeau et l'ont adapté

Car la relève est bien là. Les jeunes, qu’ils soient nés au Mali ou en France de parents maliens, ont bel et bien repris le flambeau, mais sous d’autres formes, avec d’autres objectifs, beaucoup plus tournés vers l’entreprenariat. Vu comme le moyen de s’en sortir à la fois ici, et d’aider d’autres à en faire autant là-bas en créant des emplois, en participant à l’économie locale, par des investissements etc. Une évolution exprimée par Boubou Cissoko, la trentaine, membre de Diasma, partenaire de l’évènement. « On a été sollicité en tant qu’association franco-malienne de jeunes assez dynamiques, avec d’autres, le Conseil nationale de la jeunesse malienne, Deuxièmes générations, l’Adem (Association des diplômés et étudiants Maliens) et d’autres, pour deux choses : représenter les jeunes dans l’organisation des assises, faire du réseautage pour mobiliser les jeunes, indique Boubou. Ce qu’on a fait savoir, pendant le débriefing avec le GRDR, c’est qu’on trouvait que les jeunes n’avaient pas été suffisamment présents. Les Assises ont été ouvertes par Jacques Toubon (invité au titre de président de la CNHI), par le président du GRDR, c’est très bien, mais il a fallu attendre Ali Soumaré pour se sentir représentés ». 
 

Un autre regard sur le développement

Beaucoup d’anciens étaient là. Pour plus de jeunes, ils doivent les attirer avec d’autres invités. Autrement, les ateliers étaient très intéressants. Notamment sur l’entreprenariat. Sur comment encourager les jeunes, ici et là, à entreprendre. Parce que la nouvelle génération pose un autre regard sur le co-développement.
Tandis que nos parents se sont lancés dans le co-développement à fonds perdus, sans recherche de rentabilité
nous, on le voit autrement. Avec des projets économiques, où l’on créé de l’emploi et s’inscrit sur du long terme. Comme ce que l’on a fait au niveau de l’association, avec la plaquette low cost à 150€. » Et d’ajouter : « L’intérêt de ces échanges a aussi été de confronter les expériences, au Mali, au Sénégal, en France, en Italie… Pour voir si l’on a des points communs, et pour ceux qui ont connu du succès avec leurs actions, voir comment on peut les mutualiser. Au-delà de ces assises, il y a eu des déclarations, qu’est ce qu’on en fait ? On attend des actes concrets. Et que le projet soit repris par les jeunes, pour les jeunes. Nous, on s’est rendus compte que les projets que l’on pouvait mener là-bas, on peut également les monter ici, où l’on rencontre des situations similaires, les mêmes besoins. Il faut axer les assises là-dessus. » 
 

Chômage ici, chômage là-bas

Les difficultés d'accès à l'emploi, par exemple sont un des problèmes que l'on retrouve aussi bien au Mali que dans les quartiers populaires, même si le contexte n'est pas le même. Aussi, les projets destinés à créer des emplois au Mali pourraient, selon Boubou, également être montés en France, sur des modèles différents, pour les adapter au besoin, mais avec l'idée d'aider les jeunes à s'en sortir, à la fois là-bas et ici. Et c'est en cela que l'approche de ces jeunes bénévoles est différente de celle adoptée par leurs aînés, beaucoup plus impliqués dans l'amélioration du niveau de vie de leur compatriote au Mali qu'en France, dans la mesure où ils n'envisageaient pas qu'en plus d'y rester, leurs enfants, leurs petits-enfants, y naîtraient et y construiraient leur avenir. « Il faut centrer les assises sur les problèmes des jeunes en Europe, reprend Boubou.
Quand on parle de migrants, nous, nés en France, on ne se sent pas concernés.
Mais en même temps, on n’a pas le sentiment d’être accepté en Europe. Même au Mali, on est considéré comme des petits blancs. Alors qu’une personne qui vient d’arriver aux États-Unis va très vite développer un sentiment d’appartenance à la nation américaine. C’est ce paradoxe qu’il faut relever et chercher à comprendre. Pour lui apporter des solutions. Sans non plus se lamenter, en disant on est victime de discriminations. C’est sûr, ils ont dû travailler plus, mais on a des modèles de réussite. » 
 
Des parcours et des personnalités qu’il faudrait mettre en avant. « Il serait intéressant, reprend Ali Soumaré, que la prochaine édition ait lieu dans une autre ville européenne, en Belgique ou en Angleterre pourquoi pas, afin d’échanger les expériences et de les confronter les unes aux autres. » Les débats restent ouverts. « La déclaration va circuler », rappelle Karen Mbomozomo. Elle va notamment être portée aux représentants des pouvoirs publics en France et au Mali afin de faire connaître les attentes des jeunes de la diaspora. L’une d’elle a déjà été entendue par le CBMF, elle est même à la base du projet assure Gaharo Doucouré. « On va faire en sorte que les jeunes se l’approprient. » 
 

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