
La presse en ligne s'attaque à Google… par la face nord !

Le torchon brûle entre les éditeurs de presse en ligne et les multinationales américaines du web, Google en tête. Face aux bénéfices mirobolants du moteur de recherche, le secteur de la presse prône "une participation juste." Mais la partie est loin d'être gagnée pour eux.
Pot de terre contre pot de fer. Le conflit qui oppose les éditeurs de presse en ligne, qui produisent des contenus onéreux, et les firme américaines qui les diffusent par le web notamment, les canaux, ou « tuyaux », Google en tête, peut il se résumer à cela ? A première vue, oui. D'un côté des éditeurs de presse en ligne type Rue 89 ou Le Figaro en line sont engagés dans un bras de fer avec la puissante multinationale made in USA. Pomme de discorde ? Les contenus produits par la presse en ligne sont utilisés gratuitement par le célèbre moteur de recherche. En d'autres termes, Google gagne de l'argent sur le dos des éditeurs. Quand on connaît le chiffre d'affaire de la firme au deuxième trimestre 2012 -plus de 12 milliards de dollars, soit une hausse de 21% sur la période- on comprend mieux ce qui fâche le secteur de la presse en ligne.
le fond Spel, destiné à développer les services de presse en ligne
La presse en ligne en mal de modèle économique
S'il est difficile de chiffrer les revenus de Google indirectement engrangés par l'utilisation de l'information produite par les sites d'information, on peut néanmoins imaginer la taille des bénéfices. Une somme colossale, qui pour un secteur en proie à la fragilité de son modèle économique et dépendante des subventions publiques, serait bienvenue. En 2009, un décret mettait en place le fond Spel, destiné à développer les services de presse en ligne. Montant de la cagnotte répartie sur 3 ans ? 60 millions d'euros. Parmi les heureux bénéficiaires, les sites d'information pure players –nés sur Internet- comme Rue 89, Médiapart ou Slate. Pierre Haski, fondateur de Rue 89, se réjouissait ainsi naguère de l'octroi de 249 000 euros. "Cet argent qui va nous permettre de créer une nouvelle plateforme ", assurait Pierre Haski au Monde en 2009. Un montant élevé et déterminant pour ces nouveaux sites. Reste que l'enveloppe du Spel, face aux bénéfices de Google France, fait doucement rigoler. A l'échelle de l'Hexagone, le moteur de recherche a, officiellement, réalisé un chiffre d'affaire de 138 millions d'euros en 2011 avec un bénéfice net de 4,5 millions d'euros officiellement, en progression de 91% par rapport à 2010. Google a donc versé 5,5 millions d'euros au fisc français. Seulement. Car le géant américain aurait en fait engrangé entre 1,25 et 1,4 milliards d'euros en 2011. Sauf qu'il facture la quasi-totalité de ses opérations en Irlande, pays de l'évasion fiscale… Pour Google, visiblement, le jeu en vaut la chandelle, puisque la firme échappe ainsi à 160 millions d'impôts. De quoi donner le tournis et faire baver le secteur de la presse en ligne. Business is business. Un adage que les professionnels de la presse entendent bien contrecarrer.
Il était important de nous regrouper pour mieux peser face à Google, Apple ou SFR
L'union fait la force, Google la divise
Philippe Jannet, directeur du GIE « E press », un groupement associatif d'éditeurs de presse en ligne, lancé il y a 2 ans, "il était important de nous regrouper pour mieux peser face à Google, Apple ou SFR. D'où la création du GIE. Si les éditeurs restent chacun dans leur coin, impossible de peser." Les prémices d'un lobby? "Nous ne sommes pas vraiment un lobby. C'est juste une stratégie d'interlocuteurs uniques. D'autant que ces géants ont tendance à nous diviser les uns les autres", résume-t-il. Et de poursuivre, nous organisons la résistance…" Le Figaro, Le Parisien ou encore Le Point, le GIE compte aujourd'hui près d'une dizaine de membres, tous bien décidés à obtenir une rémunération de Google pour l'utilisation de leurs contenus par le moteur de recherche. "Notre démarche dépasse cette entreprise. Nous nous adressons aux multinationales du web dans leur ensemble", tient à préciser l'ancien directeur du Monde interactif. La bataille s'annonce âpre, longue… et déséquilibrée. "On ne discute pas d'égal à égal avec Google, rappelant que l'entreprise au logo multi-couleur a déjà investi des millions dans une armada d'avocats, de lobbyistes et de cabinets de relations publiques." Chez Google comme chez d'autres la meilleure défense, c'est l'attaque.
Avec la loi, un éditeur de presse aura le droit de refuser que ses contenus soient référencés, ni plus, ni moins
L'Allemagne ouvre le bal
La firme le sait bien, les médias européens pourraient bien servir de base arrière pour défendre ce que certains qualifient de "marchandisation de l'information." En septembre dernier, l'Allemagne ouvrait la voie. Le gouvernement veut contraindre les moteurs de recherches à rémunérer les contenus qu'ils référencent en rétribuant les sites d'information. Un projet de loi étudié fin novembre, et qui pourrait entrer en vigueur dès l'automne 2013, a provoqué l'ire du géant américain. Le moteur de recherche invite ainsi l'internaute, sur sa page d'accueil allemande, à interpeller le député de sa circonscription pour "défendre son réseau" ou empêcher le vote du texte car "la loi est une restriction fondamentale de la structure et de l'architecture d'Internet", pour reprendre les termes de Ralf Bremer, directeur de la communication de Google Allemagne ! Si le Rubicon semble franchi d'après Google, le but de la loi vise "une participation juste." Au ministère français de la Justice, on tempère les ardeurs de Google : "Avec la loi, un éditeur de presse aura le droit de refuser que ses contenus soient référencés, ni plus, ni moins." De son côté, Google dénonce rien moins qu’une injustice car, selon lui, il rend services aux médias en aiguillant les internautes vers leurs sites. Oubliant au passage les bénéfices qu'il en tire. Au delà du cas allemand, la firme craint surtout l'effet domino en Europe. Les éditeurs italiens, portugais, suisses et français soutiennent le projet allemand.
comment l'Etat peut-il instaurer une « taxe Google », alors qu'il n'arrive même pas à faire en sorte que Google paie ses impôts en France ?
Taxe Google, de la poudre aux yeux ?
Le gouvernement de François Hollande semble également décidé à asseoir sa position face à Google et consorts. En novembre dernier, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, et Fleur Pellerin, ministre de l'Economie numérique réaffirmaient leur volonté de trouver un accord entre Google et la presse. Principale mesure annoncée faute d'accord ? L'instauration d'une « taxe Google ». Mais l'idée ne fait pas l'unanimité auprès des éditeurs. Selon Maurice Botbol, président du Spiil, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne, "comment l'Etat peut-il instaurer une « taxe Google », alors qu'il n'arrive même pas à faire en sorte que Google paie ses impôts en France ?" Et les avis similaires convergent. Dans une tribune à Libération*, des professionnels du secteur refusaient de "quémander encore et toujours à l'Etat des subsides pour survivre…" Et d'ajouter, "la presse ferait mieux d'investir réellement et massivement dans une vraie modernisation et la naissance de nouveaux modèles."
Nous nous battons avant tout pour l'indépendance de la presse face à un géant américain
Vers l'uniformisation de l'information
Au fond, si la doctrine du tout libéralisme de Google appliquée à la presse peut gêner certains, le fond du problème est ailleurs : "Nous vivons dans un système libéral. Le problème n'est pas là", souffle Maurice Botbol. "Nous nous battons avant tout pour l'indépendance de la presse face à un géant américain", renchérit-il. On touche alors du doigt une question plus complexe : l'uniformisation de l'information, et donc des esprits. "Aujourd'hui, l'hégémonie de Google conduit à l'émergence d'une course aux mots-clés. Les journalistes utilisent ces mêmes mots-clefs dans leurs contenus, pour être mieux référencés. On est dans l'uniformisation de la presse", relève Maurice Botbol. "Quand on sait que le rêve du co-fondateur de Google, Sergey Brin est d'avoir des gens avec une puce Google dans le corps, on peut s'interroger sur les valeurs de cette boîte !", tonne Philippe Jannet. Mais comme le dit la baseline de Google, « Don't be evil » ! En d'autres termes, ne soyez pas maléfique... Mais en l’espèce, qui est maléfique ? Celui qui bafoue la loi ou celui qui la réclame ?
*http://www.liberation.fr/medias/2012/10/26/non-ca-ne-reglerait-pas-les-problemes-de-la-presse_856310